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tendresse extrême, crainte, respect, estime, reconnaissance et confiance ; tous ces sentimens existaient dans mon cœur. Je ne les ai distingués que depuis, mais je les éprouvais tous pour elle. Tout ce que je vois de bien en moi, c’est à ma tante que je le dois ; c’est elle qui m’a formée. » Un seul mot de reproche de cette habile éducatrice, la simple expression du mécontentement sur ses traits, produisaient sur l’âme tendre de l’enfant l’effet des plus dures punitions ; l’assurance renouvelée du pardon de ses légers torts pouvait seule lui rendre la tranquillité. Déjà, en effet, se remarquait chez Louise de Condé cette sensibilité à la fois exaltée et craintive, qui fut son plus grand charme, et qui fit le tourment de sa vie. Un instinctif élan du cœur la poussait irrésistiblement vers tous ceux qui lui témoignaient quelque bonté, et sa timidité naturelle fondait, comme la neige au soleil, devant la moindre marque d’affection. « Je me souviens, dit-elle encore au sujet de Mme de Vermandois, que je me jetais quelquefois dans ses bras en l’appelant Maman : je n’avais jamais connu la mienne ; pourquoi aimais-je mieux ce nom que celui de tante ? Pourquoi demandais-je comme une récompense de la nommer ainsi ? — Comme je l’aime encore, quoiqu’elle n’existe plus ! s’écrie-t-elle plus loin. Non, jamais je ne me consolerai qu’elle n’ait pu avoir de moi que l’amitié d’un enfant. »

Elle demeura sept ans dans cette tranquille demeure, et n’en sortit qu’une fois, — l’espace de trois mois, — pour subir à Paris l’épreuve de l’inoculation, qui eut lieu avec un plein succès : « La princesse, écrit l’une des femmes à son service<ref> Lettres de Mlle Demars à M. Rougeot. Manuscrits de la Bibl. e l’Arsenal. </<ref>, est revenue fort bien guérie de sa petite vérole ; il n’y paraît pas, et elle est toujours charmante. » Son père, alors occupé d’autres soins, ne semble pas s’être jamais dérangé pour lui rendre visite. Il se bornait à lui envoyer chaque dimanche l’intendant de la province, qui la demandait au parloir, s’informait cérémonieusement de sa santé, et prenait « ses commissions pour le prince son père. » — « Assurez-le, répondait-elle invariablement, que je l’aime de tout mon cœur. » Sur quoi, elle s’échappait au plus vite, pressée de retirer ses « habits d’apparat » et d’aller rejoindre ses compagnes de jeux. Le couvent de Beaumont, malgré l’austérité de la règle, n’était pas en effet un séjour ennuyeux et triste. Elevé sur un petit monticule, et dominant ainsi les fertiles et riantes campagnes