Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
480
REVUE DES DEUX MONDES.

bordereau et celle du commandant Walsin-Esterhazy une analogie qui peu à peu, a pris à ses yeux le caractère de l’identité. Voilà tout ; c’est vraiment trop peu ! M. Scheurer-Kestner n’avait pas autre chose. On lui a demandé son dossier ; il n’avait pas de dossier ! Il a comparé des écritures, et dans sa conscience il a prononcé un jugement, une condamnation. Des impressions graphologiques lui ont suffi pour se porter accusateur d’un officier français ! Indigné qu’on eût condamné l’ex-capitaine Dreyfus sur des preuves qui lui paraissaient, à lui, Scheurer-Kestner, insuffisantes, de plus insuffisantes lui ont suffi pour demander la condamnation du commandant Walsin-Esterhazy ! Sa « conviction » lui a suffi, à lui homme politique, vice-président du Sénat, pour provoquer dans le pays une émotion aussi profonde, pour y déchaîner une tempête de polémiques qui n’ont pas même épargné le haut commandement militaire ; pour troubler, dans les esprits des simples, le respect de la justice et la notion du droit !… Nous parlions plus haut du respect de la chose jugée. S’il était besoin de donner une preuve en quelque sorte tangible de ce que ce respect a d’indispensable pour le repos d’une société, on la trouverait avec un éclat sans égal dans cet exemple. Il est permis de douter de la justice des hommes ; il ne l’est pas d’exprimer son doute sur la chose jugée sans en avoir d’autres preuves ou d’autres raisons que ce doute même.

Francis Charmes.


Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.