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REVUE. — CHRONIQUE.

organisation. Il y a là un mal très grave, auquel il est temps de mettre terme. Ceux mêmes qui croient que la justice a pu se tromper, et qui annoncent l’inévitable victoire de ce qu’ils appellent la vérité, ont fait fausse route et marché contre leur but en usant de pareils moyens. Ils ont réussi sans doute à émouvoir l’opinion, mais non pas comme ils l’espéraient : ils comptaient sur elle, elle s’est retournée contre eux.

Ce reproche s’adresse à une partie de la presse. Nous n’en parlerons pas ; nous ne parlerons que des témoins qui ont figuré au dernier procès. Ils étaient convaincus de l’innocence de l’ex-capitaine Dreyfus. Soit ! Mais cette conviction les autorisait-elle à tout faire pour la communiquer aux autres ? Il y a d’abord un officier supérieur sur lequel il est bien difficile de porter un jugement, puisqu’on ne connaît pas sa défense. Son interrogatoire a eu lieu à huis clos. Mais s’il est vrai que l’intempérance de son zèle l’ait porté à commettre des indiscrétions condamnables, et que, par exemple, il se soit permis sans délégation judiciaire, sans aucun mandat régulier, d’opérer des perquisitions chez l’homme qu’il soupçonnait, c’est là beaucoup plus qu’un abus de pouvoir, car on ne peut abuser que de ce qu’on a, et l’officier dont il s’agit n’avait aucun droit de faire ce qu’on lui reproche. L’a-t-il fait ? Ce qui du moins est certain, c’est que le Rapport lu devant le Conseil de guerre le déclare ; et il semble difficile qu’on ne nous donne pas d’éclaircissemens sur ce point.

Pour M. Mathieu Dreyfus, quand tout le monde croirait à la culpabilité de son frère, nous accordons qu’il aurait toujours, lui, le droit de ne pas y croire. Sa conviction personnelle est respectable entre toutes ; elle est naturelle, elle est légitime, et, disons-le franchement : elle l’honore. Il est toutefois des bornes qu’une certaine délicatesse morale ne permet pas de franchir. À défaut de ce sentiment, qui n’est pas donné à tout le monde, il suffirait d’une habileté vraie pour comprendre que tous les moyens ne sont pas bons. Il y a eu dans cette affaire un air d’intrigue et quelquefois d’assez vilaine intrigue. Il y a eu trop de secrets trahis, de lettres venant on ne savait d’où, de confidences violées, toutes choses que le désir de réhabiliter un frère ne saurait excuser. On doit, à la justice même, de ne pas recourir à de certaines manœuvres pour la faire triompher.

Quant à M. Scheurer-Kestner, son cas n’est pas le même, et sa conduite a été correcte, mais son imprudence a passé la mesure. On ne peut pas lui reprocher d’avoir multiplié les démarches, ni d’être descendu aux petits procédés ; son système, au contraire, est exempt de toute complication. Il a cru remarquer entre l’écriture du fameux