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faire la loi par les partis de gauche et d’extrême gauche, qui, par la manière dont ils sont intervenus dans ses débats, ont pris l’habitude de les diriger. On devine comment ils s’en sont acquittés. Ils n’ont rien négligé de ce qui pouvait mettre leur éloquence en valeur, sans songer peut-être qu’il n’est rien dont un pays se fatigue plus rapidement que de l’éloquence. Il attend des résultats pratiques, et on lui donne des discours. Tous ces discours sont venus, d’ailleurs, soit de l’opposition, soit du gouvernement. Quant à la majorité, elle dirait volontiers comme le personnage des Plaideurs : « Moi, je suis l’assemblée. » Elle est le spectateur au parterre. Elle est là pour écouter, pour entendre, pour voter quand tous les orateurs ont fini ; mais elle-même ne parle pas, et cela n’est pas sans inconvéniens. On dira peut-être que, si elle parlait, il y aurait des discours de plus, et qu’il y en a déjà bien assez : cela n’est pas absolument vrai. Il faut bien qu’il y ait des discours ; la question est de savoir par qui ils seront prononcés. Pourquoi ne le sont-ils jamais, ou presque jamais, par des orateurs du centre ? Pourquoi la majorité est-elle muette ? Pourquoi ne soutient-elle le gouvernement que par ses votes, et semble-t-elle croire tout son devoir rempli lorsqu’elle a fait cela ? Elle reste juge du camp, au lieu de se regarder comme un des champions qui doivent y descendre et y faire figure. C’est aux ministres de se défendre : tant mieux s’ils se défendent bien, et tant pis s’ils se défendent mal ! Il en résulte, pour les ministres, un travail parlementaire qui les épuise, et, pour la majorité, une habitude de nonchalance, presque d’indifférence, qui l’engourdit. Beaucoup de forces restent sans emploi. Un parti qui n’agit pas, qui ne se défend pas, qui n’attaque pas, ne saurait exercer qu’une faible action sur le pays. On l’oublie, on le néglige, on croit qu’il n’existe plus. La minorité a tout l’honneur des séances auxquelles l’opinion s’attache, et, même battue, elle garde le mérite d’avoir parlé aux esprits, ou aux passions, et de les avoir remués. Comment, dans de telles conditions, le parti modéré pourrait-il se donner cette organisation forte et prête à l’action qu’une armée n’acquiert qu’en faisant campagne ? Aussi n’en a-t-il presque point. Il fait nombre, et voilà tout. Jamais une initiative puissante ne vient de lui : c’est à peine s’il soutient celle du ministère, et il l’encourage moins encore. On comprend, dès lors, avec quelle facilité il devient lui-même le jouet d’une opposition alerte, vive, entreprenante, violente, qui encombre les discussions de la Chambre et les accapare tout entières. La majorité, sûre s’abandonne jusqu’au moment du scrutin. Et les discussions se