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REVUE. — CHRONIQUE.

est de tout empêcher, de tout entraver, de tout retarder, et jamais elle ne l’avait mieux joué. Quant à la majorité, elle a donné le spectacle le plus décourageant, laissant tout faire, tout dire, tout redire, sans jamais montrer la moindre impatience, comme si vraiment elle s’était crue éternelle.

Et pourtant elle était à la veille de mourir. Nous souhaitons qu’elle renaisse, mais avec un peu plus de virilité. Toutes les critiques, et combien justes ! qui ont été adressées à la Chambre ont glissé sur elle sans pénétrer jusqu’à sa volonté. Elle n’a pas eu, même un moment, l’idée de réformer des mœurs parlementaires universellement condamnées. Ce sera, dit-on, l’œuvre de la Chambre prochaine ; mais aura-t-elle le courage moral de l’accomplir ? Si elle ne prend pas, dès la première minute, des mesures énergiques pour assurer l’efficacité des travaux, pour garantir ses débats contre des intrusions parasites, pour leur donner une direction ferme et constante, elle fera moins encore que la Chambre actuelle. Le mal dont nous souffrons s’aggravera par sa nature même, car il tient à un défaut de caractère. Le parti modéré ne promet pas au pays de grandes réformes, que le pays d’ailleurs ne demande pas ; mais il doit du moins réaliser celles qu’il promet. Les radicaux et les socialistes, qui ne parlent qu’à l’imagination, peuvent annoncer longtemps des réformes sans les faire. M. Jaurès déclare avec modestie qu’il lui faut dix ans avant d’entamer à fond la réalisation de son vaste programme. Les modérés, promettant moins, doivent tenir davantage, et donner plus vite. Ils devront avant tout, s’ils ont la majorité dans la Chambre de demain, chercher et trouver les moyens d’échapper à l’obstruction systématique de la minorité. Cette réforme est la plus indispensable et la plus urgente, puisqu’elle est la condition de toutes les autres. L’avenir, l’existence peut-être du gouvernement parlementaire, y sont attachés. Les choses ne pourraient pas marcher longtemps encore comme elles le font, sans provoquer dans le pays le désenchantement et le découragement dont, plusieurs fois déjà, des aventuriers ont profité. Le ministère Méline, par sa bonne tenue générale, par sa modération, par sa tolérance, a rassuré beaucoup d’esprits ; mais il a ajourné le péril plutôt qu’il ne l’a supprimé. C’est un ministère de transition, et il faut désirer qu’il nous mène à quelque chose. Il a préparé l’œuvre, il ne l’a pas accomplie ; soit dit sans lui adresser de reproche, car il a fait tout ce qu’on pouvait faire avec la Chambre qui s’achève, et avec les habitudes qu’elle avait contractées.

Non pas que la Chambre, comme on l’a répété souvent et