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ou du « drame » comme on fait des bottes ou de la menuiserie. On remarquera seulement que ceux-là mêmes ne peuvent atteindre la fortune que par l’intermédiaire de la « notoriété ». Tout artiste ou tout écrivain nous provoque donc d’abord à le juger, ou, pour mieux dire encore, il passe avec nous, en exposant son œuvre, une espèce de contrat ou de convention qui devient aussitôt la loi de nos rapports réciproques.

Appuyons un peu là-dessus, car, comme on l’a fait justement observer, « les conventions étant la loi des parties », il y a là peut-être un moyen juridique d’interpréter l’article 13 de la loi de 1881 dans un sens conforme à la nature des choses. Ce que tout auteur sollicite, c’est l’opinion du public sur son livre, et, dans le temps où nous vivons on pourrait dire : sur sa personne. La question d’argent ne vient qu’en second lieu, puisqu’on en voit qui paient, et qui vendraient au besoin leur chemise pour se faire imprimer. Ce qu’ils veulent, c’est donc du bruit autour de leur nom. Mais si ce bruit n’est pas celui qu’ils avaient attendu, de quel droit viendraient-ils dénoncer le contrat ? De quel droit, car c’est bien ainsi que la question se pose, obtiendraient-ils qu’on me frappe, et qu’on m’atteigne jusque dans mes intérêts matériels, pour avoir loyalement exécuté la partie de la convention qui m’incombait ? « Vous avez été bien sévère pour un tel, disais-je un jour à cet érudit et à ce critique respecté entre tous qui était Fustel de Coulanges ; et il me répondait : — Oui, je l’ai regretté, je le regrette encore, mais c’est lui qui m’avait demandé de parler de son livre. » Et en effet, nous demander de parler d’un livre, c’est nous demander d’en dire la vérité, ce que nous croyons du moins être la vérité ; et qui soutiendra que l’inconnu qui m’envoie son livre ne me demande pas d’en parler ? A plus forte raison, l’auteur dramatique, et parmi les auteurs dramatiques, celui qui se fait jouer sur une scène subventionnée ?

Il n’y avait pas de doute autrefois sur ce point, et, tout considéré, je ne pense pas qu’il y en ait davantage aujourd’hui. C’est en vain que certains auteurs invoquent la question d’argent, et se plaignent qu’on gêne leur commerce. Leur commerce leur importe moins qu’ils ne le disent, qu’ils ne le croient eux-mêmes ; ils se calomnient quand ils disent le contraire ; et c’est toujours, et avant tout, d’éloges ou d’admiration qu’ils sont avides.

Mais quand la critique, en leur enlevant des applaudissemens, leur enlèverait aussi des « cliens », est-ce que ce ne serait pas encore son droit : je veux dire est-ce qu’elle ne l’exercerait pas dans les termes du