Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/466

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’inflige, en m’obligeant d’insérer soixante-quatre pages de réponse, — et c’est bien une pénalité, puisqu’on la prononce en police correctionnelle, — cette pénalité donc est bien autrement grave, elle m’atteint bien plus profondément qu’elle ne ferait un journal, dans mes intérêts, ou pour mieux dire encore, dans ma propriété même. Et comme, en général, on s’exprime avec plus de modération, pour une foule de raisons, dans un article de Revue que dans un article de journal, la faute la moins grave, en admettant qu’il y ait faute, se trouve ainsi frappée de la pénalité la plus forte.

D’habiles journalistes ont su tirer bon parti de cette bizarrerie de la loi. Ils n’entrent point en discussion ; ils ne se mettent pas en frais de raisonnemens ; ils injurient « sans phrases. » Et en effet, le moyen de « répondre » à une grossièreté ? mais le bel avantage, si l’on vous a traité de « cuistre, » ou de « simple idiot, » en deux mots, que de pouvoir étendre sa réponse au double de l’article ! Cette remarque, à elle seule, suffirait pour montrer ce qu’il y a de mal calculé dans la disposition du texte qui régit « le droit de réponse ». Point de réponse possible à une épithète simplement et formellement injurieuse ; et au contraire toute licence ou toute liberté contre une critique judicieuse et consciencieuse.

Faisons maintenant un pas de plus, et, puisqu’il en faut bien toujours venir à des pesées de mots, comme étant le seul moyen que les hommes aient trouvé jusqu’ici pour s’entendre, examinons un peu ce que c’est que « répondre » ?

Devant la 9e Chambre du tribunal de la Seine, l’avocat de M. Dubout, — pour animer une plaidoirie dont la récitation du quatrième acte de Frédégonde fut le passage le plus divertissant, — a cru devoir, chemin faisant, me lancer quelques traits que je n’ai pas cru devoir, moi, prendre la peine de relever. Le tribunal n’avait plus le temps ! C’est aussi qu’ils étaient bien inoffensifs, et, depuis vingt ans ou un peu davantage que j’en ai contracté l’habitude, ils glissent, et n’entament plus l’épaisseur de mon indifférence. Pæte, non dole ! M. Dubout m’en croira-t-il ? mais quand M. Zola lui-même invite publiquement la jeunesse des écoles à s’assembler pour me conspuer, et surtout pour m’empêcher de parler, je lui en veux bien moins de cette manière nouvelle d’entendre la « liberté », la « justice », et la « générosité » que d’avoir écrit Rome et d’écrire Paris. Si cependant j’étais moins philosophe, et, après avoir essuyé les plaisanteries de Me Gondinet, si je le plaisantais à mon tour ? si je m’amusais ici de sa « littérature » ? de ses « portraits » ? de ses « citations » ? si je m’émerveillais