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effet, dans le rêve, tout comme dans la veille, nos divers sens se contrôlent les uns les autres, s’accordent les uns avec les autres. Je ne rêve pas seulement que je vois un objet, je rêve aussi que je le touche, ou que je l’entends. Je rêve que je rencontre un ami : je crois le voir, mais je crois aussi lui serrer la main, et je crois aussi entendre le son de sa voix. L’identité des deux états est donc, sur ce point, absolue. Dans le rêve, aussi bien que dans la veille, nous croyons percevoir à la fois par tous les sens. L’objet qui m’apparaît en rêve est un « faisceau de sensations » visuelles, tactiles, auditives, musculaires, parfois même olfactives, exactement comme l’objet qui m’apparaît pendant la veille.

Voici, d’après le sens commun, une autre différence. Pendant la veille, la réalité des objets nous est garantie par l’accord des esprits entre eux. Je vois un arbre, mais je ne suis pas seul à le voir ; toutes les personnes présentes le voient comme moi ; je n’ai qu’à vous le montrer pour que vous le voyiez ; je le touche, mais vous pouvez aussi le toucher, j’en entends bruire le feuillage, mais vous aussi vous l’entendez. Et c’est là précisément ce qui m’atteste que l’arbre n’est pas imaginaire ; si en regardant de ce côté, vous ne voyiez rien, si personne ne voyait rien, il faudrait on conclure que je suis halluciné. Dans la vie pratique, nos perceptions sont ainsi perpétuellement contrôlées par les perceptions d’autrui. — Au contraire, ajoute-t-on, l’homme endormi poursuit intérieurement sa vision solitaire et fantastique ; les autres ne voient pas ce qu’il voit, ne touchent pas ce qu’il touche, n’entendent pas ce qu’il entend. Il est enfermé dans une sphère lumineuse, mais hermétique. Il n’est pas en harmonie avec les autres esprits. Tandis que les perceptions de la veille sont collectives, celles du rêve sont individuelles et « incommunicables ».

Ce prétendu contraste n’est pas plus réel que le précédent. Ce qui est vrai, c’est que, une fois réveillés, nous changeons de point de vue ; dès lors notre vision nocturne nous apparaît comme purement intérieure, solitaire et subjective. Mais en dépit de l’illusion commune, pendant qu’on rêve, les choses se passent exactement comme dans la veille. Oui, sans doute, à l’état de veille, nous nous voyons mêlés à d’autres hommes, qui perçoivent les mêmes objets que nous ; mais dans le rêve, nous nous voyons également mêlés à d’autres hommes, qui perçoivent les mêmes objets que nous ; ne rêvons-nous pas souvent que nous