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requête un peu plus tard (1760), non sans se plaindre du métier qu’il faisait. « Il semble que tout le tracas qu’occasionne la guerre se soit donné rendez-vous ici. Il n’y a point d’autre débouché que Francfort pour tout ce qui arrive ou qui part de l’armée. Tout fond sur moi… » Nouvelle réponse du maréchal de Belle-Isle : « Je vois que vous ne connaissez pas toute la valeur de la place que vous occupez. La lieutenance du Roi d’une place comme Francfort emporte par elle-même une considération et une autorité beaucoup plus grande que la commission de colonel : ainsi vous ne pouvez rien faire de mieux que de continuer à la remplir. » Il lui annonce que le roi va le nommer en titre à cette place si honorable et si avantageuse.

Thorenc en est désespéré. « Monseigneur, la lettre dont vous m’avez honoré le 8 de ce mois m’annonce une grâce qui serait satisfaisante pour quelqu’un qui aimerait les récompenses qui procurent une vie douce et agréable… J’ai ici un poste d’officier général, j’en tombe d’accord, mais si ce grade m’exclut du grade de colonel, je ne puis me dispenser de le quitter. J’aime mieux renoncer au bien que vous voulez me faire. Donnez ma place et tous les avantages que vous voulez y attacher à quelqu’un qui cherche l’aisance et ne soyez point en peine de mon sort. »

Mais ces déclarations si franches ne servirent à rien. Thorenc s’aperçut trop tard qu’il s’était engagé dans une impasse : en acceptant des fonctions administratives, il s’était fermé le retour dans la partie combattante de l’armée. Voici les mots de la dernière réponse du maréchal de Belle-Isle. «… Lorsque M. le prince de Soubise vous a placé dans l’emploi que vous occupez, vous n’avez jamais dû espérer que les services que vous y rendriez fussent capables de vous procurer ce grade que Sa Majesté n’accorde qu’à des services actifs et jamais aux officiers qui sont regardés comme placés… Vous ne pouvez mieux faire que de perdre cette idée de vue. Je serai au reste fort aise d’avoir d’autres occasions de vous obliger… »

Il n’y avait pas à y revenir. Le digne officier en eut, selon son expression, le cœur navré. Comme il aimait à moraliser, il put méditer sur l’inconvénient qu’il y a à révéler spontanément des aptitudes qu’on ne vous soupçonnait pas : on les emploie, on en profite, et on vous y emprisonne. Malgré l’importance des fonctions qu’il remplissait, Thorenc, dans la hiérarchie militaire, restait capitaine. Comme sa charge le mettait en rapport, et quelquefois en