Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Toutes ces peintures étaient destinées à orner certaine maison de Grasse dont il faisait fréquemment mention. Il écrivit à son frère aîné, pour avoir de lui les dimensions exactes de toutes les chambres, de tous les cabinets, de chaque lambris, de chaque panneau. Puis il en délibéra avec les peintres, détermina la hauteur et la largeur des toiles. (On verra plus tard pourquoi nous donnons ces détails.) Ces toiles n’étaient pas destinées à être encadrées, mais devaient être attachées aux murs, encastrées dans les boiseries, comme si elles en faisaient partie.

Ensuite il fallut répartir la tâche selon le genre de talent de chacun. Seekatz eut les scènes d’intérieur ; Trautmann, qui réussissait les incendies et les sujets à la Rembrandt, fit flamber des villages et peignit des miracles du Nouveau Testament ; Hirth reçut pour lot les paysages ; Junker, un élève de l’école hollandaise, consentit moyennant un bon prix à couvrir quelques carrés de fruits et de fleurs.

Le jeune Wolfgang, enchanté de voir dans sa maison tous ces artistes qu’il connaissait de réputation, aidait de son mieux. Comme les sujets bibliques ne pouvaient manquer, et comme il avait justement la tête remplie des récits et des images de la Bible, il rédigea une sorte de livret où il proposait le sujet de douze tableaux représentant l’histoire de Joseph.

Tout semblait donc aller à souhait, quand un événement grave vint jeter le trouble dans la ville et compromettre la paix de la maison.

Depuis un certain temps, on voyait bien qu’il se passait quelque chose. Les allées et venues des officiers se multipliaient. Des estafettes arrivaient à toute heure du jour et de la nuit. Le prince de Soubise, le maréchal de Broglie, s’enfermaient avec le gouverneur. Bientôt le bruit se répandit que les alliés (il faut entendre par-là les Hanovriens et les Hessois), commandés par le prince Ferdinand de Brunswick, étaient en marche. Le vieux conseiller reprenait un air plus gai. Sa femme, au contraire, devenait soucieuse : son bon sens lui disait qu’on risquait de tomber de mal en pis et de changer de petites misères contre un sérieux déboire. Par les dispositions des troupes françaises, il était visible que l’intention était, non d’aller au-devant de l’ennemi, mais de l’attendre de pied ferme dans le voisinage. Les imaginations inquiètes voyaient déjà une bataille, une défaite, une ville prise d’assaut, le combat dans les rues, le pillage… Avec