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plus de périls qu’à la Bourse ; moins il y intervient, mieux le pays s’en trouve. Son immixtion aboutit, d’habitude, à fausser les situations ; elle est, le plus souvent, perturbatrice. L’intervention du ministre des finances auprès de la haute banque et des grands établissemens de crédit n’est guère légitime qu’en temps de crise et de panique ; — et encore doit-elle s’exercer, uniquement, en vue d’arrêter la panique, afin de conjurer la crise, et non pour donner le coup de grâce à des maisons ébranlées, ainsi qu’il est advenu lors du krach de l’Union Générale, mise hâtivement en faillite, avec une précipitation mal dissimulée, comme si les ministres eussent voulu servir les intérêts de ses adversaires financiers ou politiques. L’Etat, en effet, n’est pas un Dieu doué, par définition, de toute sagesse et de toute prudence ; l’Etat n’est ni impersonnel ni impartial ; l’Etat moderne, au contraire, l’Etat démocratique est le plus souvent d’une partialité manifeste ; il est en quelque sorte partial par définition, de par sa constitution même. A la Bourse comme ailleurs, — l’Union Générale en a fait l’expérience, — son action s’exerce au profit des uns, aux dépens des autres ; par-là même, elle est presque toujours suspecte.

A quels abus peut entraîner l’intervention de l’Etat, l’Italie nous en a donné naguère un exemple retentissant. Les relations de M. Crispi avec la Banque nationale, avec la Banque romaine surtout, ont montré comment, sous prétexte de soutenir le crédit public, un ministre peut compromettre une banque ; comment aussi des hommes d’Etat de peu de scrupules en peuvent venir à se faire ouvrir pour eux, pour leur femme, pour leurs amis, des comptes s’élevant à des centaines de mille francs. Leçon instructive pour qui cherche dans l’histoire autre chose qu’un vain spectacle, nous avons vu, durant deux longues années, de 1894 à 1896, toute la politique intérieure de l’Italie suspendue aux dossiers Giolitti, au duel parlementaire Crispi-Cavallotti, à ce que nos voisins appelaient, non sans raison, « la question morale ». Faites intervenir l’Etat, c’est-à-dire les ministres et les Chambres, dans les affaires de Bourse et de banque, et, au grand détriment du pouvoir et de la nation, vous verrez bien vite surgir, devant vous, comme en Italie, la question morale.

L’immixtion de l’Etat à la Bourse ne serait pas la moralisation des affaires, mais bien plutôt la démoralisation des affaires, avec celle du personnel politique. Et qu’on ne vienne pas dire que c’est là le fait du parlementarisme et de la corruption