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les gens au pouvoir. Nous n’entendons ici, en effet, incriminer personne ; ce que nous voulons montrer, c’est que loin d’élever un établissement financier au-dessus de tout soupçon, la dépendance gouvernementale est plutôt propre à l’exposer à toutes les suspicions. Veut-on appliquer à la finance le mot sur la femme de César, il ne faut pas la marier à la politique, c’est-à-dire à l’État. Si vous voulez que les grands établissemens de crédit ne puissent être soupçonnés de complaisances coupables, gardez-vous d’en faire des succursales de nos ministères ou des fiels des partis au pouvoir.

Trop de gens, déjà, en France, s’imaginent que le ministre des finances doit être le ministre de la Bourse ; qu’il a pour mission de maintenir ou de relever les cours de la rente ; qu’il doit surveiller, en censeur et en juge, toutes les banques de prêts ou d’émission, tous les citoyens occupés d’affaires de finance, de prêt, de courtage, de spéculation. Le regretté Léon Say s’élevait naguère, dans un livre posthume, contre les hommes qui voudraient qu’en matières financières, comme en toutes choses, les Français lussent traités en enfans ou en éternels mineurs[1]. Loin de trouver désirable que le ministre des finances s’immisçât davantage dans la Bourse et dans les affaires de Bourse, l’ancien ministre jugeait qu’il était déjà, aujourd’hui, trop souvent en relation avec la Bourse. Et cela surtout, remarquait Léon Say, par le canal d’une institution dont le public ne connaît pas assez le rôle, la Caisse des dépôts et consignations, « colossale banque d’Etat, qui prête à l’Etat, aux départemens, aux communes, qui remue des millions, des centaines de millions, des milliards. » Par cette Caisse des dépôts, par la Banque de France, par le Crédit Foncier, le gouvernement peut agir sur la Bourse et faire monter la rente ; il peut intervenir pour régulariser le crédit, ou pour étendre ou limiter la circulation. Cette faculté même, expose un gouvernement et un ministre des finances à des tentations qui, à certaines heures, peuvent devenir dangereuses pour le gouvernement et pour le crédit du pays. Nos gouvernans n’ont déjà que trop de moyens d’action sur la Bourse, et s’ils n’en abusent pas plus souvent, le mérite en revient aux mœurs, non aux lois. Nulle part, peut-être, l’ingérence de l’Etat n’offre plus d’inconvéniens et

  1. Léon Say, les Finances, 1896, volume faisant partie de l’utile collection publiée par les soins de MM. Charles Benoist et André Liesse, sous le titre : la Vie nationale.