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frauduleux, de fausses nouvelles ou de corruption. Il peut statuer sur les manœuvres déloyales et expulser les coupables de la Bourse. La cote doit être refusée à toutes les valeurs suspectes ; on n’y doit donner place qu’aux affaires qui présentent des garanties sérieuses. Un prospectus doit être présenté avant l’admission des titres à la cote, et s’il s’y rencontre des assertions inexactes ou mensongères, les auteurs du prospectus sont rendus responsables du dommage porté aux détenteurs de titres. Les patrons financiers des affaires véreuses sont, de cette façon, assujettis à une responsabilité effective, ainsi que les journaux qui induisent sciemment le public en erreur[1].

Cette législation allemande, trop récente encore pour qu’on en puisse apprécier tous les effets, il s’est trouvé, dans nos Chambres, des législateurs qui, sans précisément nous donner l’Allemagne en modèle, nous proposent de l’imiter, en réglementant, à notre tour, sévèrement, l’émission des valeurs de Bourse[2].

Ce sont là, il est juste de le reconnaître, des mesures inspirées des meilleures intentions, bien que plusieurs d’entre elles, telles que l’inscription à la cote, puissent être d’une application malaisée. Puis, s’il est désirable que toute émission de titres soit entourée de garanties sérieuses, il serait fâcheux pour le pays que la création d’affaires nouvelles, et l’esprit d’initiative, déjà si languissant chez nous fussent entravés ou paralysés par la rigueur excessive de lois draconiennes[3]. Certes, il est bon de chercher à donner plus d’honnêteté ou de loyauté aux affaires et plus de sécurité au public, mais il ne faut pas oublier les difficultés du problème. Tolérer la spéculation et supprimer les abus de la spéculation, cela ressemble fort à la quadrature du cercle. Ici, comme le remarquait déjà Proudhon[4], l’abus est souvent lié

  1. Pour plus de détails sur cette nouvelle législation, voyez, l’étude de M. Raphaël-Georges Lévy, dans la Revue du 1er novembre 1897.
  2. Ainsi la proposition de loi de M. Fleury-Ravarin, député du Rhône, déposée sur le bureau de la Chambre à la fin de novembre dernier. Cette proposition tend à obliger les promoteurs de toute émission à publier un prospectus faisant connaître les conditions de l’affaire. Les fondateurs, administrateurs, émetteurs ou intermédiaires seraient, en cas d’omission ou d’inexactitude de mauvaise foi, civilement responsables et astreints à des pénalités rigoureuses.
  3. Il ne faut pas oublier non plus que les lois trop sévères sont celles que, d’habitude, on tourne impunément. Rappelons ici qu’en Angleterre, la loi de 1867 qui exige, elle aussi, la publication d’un prospectus et l’insertion dans ce prospectus de tous les contrats qui touchent l’affaire est d’ordinaire tournée par ce qu’on appelle la waiver clause.
  4. Manuel du spéculateur à la Bourse.