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spéculateurs, ils seraient souvent embarrassés d’indiquer des remèdes beaucoup plus efficaces que ceux vainement appliqués par l’Ancien Régime ou par la Révolution[1].


II

Ce n’est pas d’aujourd’hui, en effet, que moralistes ou hommes publics se préoccupent de combattre ce fléau. L’Ancien Régime et la Révolution, qui avaient l’un et l’autre à leur service des armes dont sont privés les gouvernemens modernes, y ont échoué également. A ceux de nos réformateurs en chambre qui iraient volontiers jusqu’à fermer la Bourse, l’exemple de la Révolution peut enseigner l’inanité de pareille mesure. La Convention avait bien supprimé la Bourse, elle avait aboli les agens de change, interdit les sociétés par actions et les titres au porteur ; pour être devenu clandestin, l’agiotage n’en fut que plus effréné et plus repoussant. C’est l’époque où de Genève, de Neuchâtel, de Francfort, de Hollande affluent les aventuriers de l’étranger. La réorganisation de la Bourse par Bonaparte, en l’an IX, diminua plutôt qu’elle n’accrut les abus de la spéculation. Si l’on ne peut fermer la Bourse, ne pourrait-on en rendre l’accès moins aisé, en rétrécir les portes pour en écarter les profanes ? Faute de pouvoir supprimer le mal, pourquoi ne pas tenter de le restreindre ou de le localiser ? Il est des pays où l’on parque dans un quartier isolé, sorte de grossier paradis des sens, les courtisanes et les filles de joie ; sans assimiler les agioteurs, et encore moins les courtiers de finance aux femmes qui trafiquent de leurs charmes, ne pourrait-on procéder de même avec les boursiers et boursicotiers, les reléguer à l’écart, dans un lieu isolé, où ils exerceraient leur métier suspect sous la surveillance de la police ? Mais à quoi bon ? Pour jouer sur les valeurs, pour agioter, nul besoin de mettre le pied à la Bourse ; on opère par intermédiaire, par lettre, par télégraphe. Les tourniquets dressés parfois à l’entrée des Bourses n’ont jamais arrêté un spéculateur.

Il est des remèdes qu’on a quelque honte d’examiner sérieusement. Certains, ne pouvant fermer la Bourse, voudraient on épurer le personnel. Pour assainir la Bourse nous n’aurions, à les en

  1. Pour l’Ancien Régime, voyez, par exemple, M. Ch. Gomel, les Causes financières de la Révolution, I. II, ch. V et VI. Pour la Révolution, voyez MM. de Goncourt, la Société française sous le Directoire, l’Agiotage en l’an IV et l’an V.