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Cristal, lorsque, sur le coup de minuit, l’heure où la mort et la vérité se révèlent, le poète découvre que, chez toutes les plus grandes âmes, chez tous les plus grands génies, il y a quelque infirmité à excuser :


Mais toi, ô souverain Prophète du temps, — mais toi, ô poète des poètes, Langue de la sagesse, — Mais toi, ô homme le meilleur parmi les hommes, — Amour le meilleur entre les amours, — O vie parfaite, écrite en une œuvre parfaite, — De tous les hommes, l’ami, le prêtre, le serviteur, le roi, — Quel si ou quel seulement, quelle tache, quelle paille, — Quel défaut infime, quelle ombre de défaut, — Quel bruit colporté par la haine, — Quelle insinuation lâchée, quel manque de grâce, — Même sous l’étau de la torture, même dans le sommeil ou dans la mort, — Oh ! que trouverais-je à reprendre, à pardonner en toi, — Jésus, bon parangon, ô Christ de cristal ?


Et en effet la philosophie à laquelle tournent de plus en plus nombre d’églises protestantes doit accepter cet aveu comme une profession de christianisme, accordant à Jésus d’être fils de Dieu infiniment plus qu’aucun autre des enfans de Dieu, puisque, enfans de Dieu, nous le sommes tous.

Au cours de la ballade si originale les Arbres et le Maître, ce panthéisme chrétien s’affirme plus naïvement. Dans les bois, le Maître s’en va épuisé, à bout de forces et les olives ont des yeux pour lui et les petites feuilles grises lui témoignent de la tendresse, l’épine elle-même lui porte intérêt quand il entre dans les bois. Il sort des bois réconforté, content, réconcilié avec l’opprobre et la mort. On l’arrache à l’ombre des arbres et c’est sur un arbre qu’on l’immole quand il sort des bois. Cette image du ministère qu’exercent les bois à l’égard de Jésus, se laissant consoler par la nature dans son agonie, est nouvelle et touchante. Sidney Lanier était d’ailleurs détaché de toute théologie : il jugeait impies les disputes des hommes à propos de Dieu, sentant pour sa part qu’il n’y a pas de route qui ne conduise à lui. Dans la pièce intitulée Remontrance, il s’en prend aux églises qui disent, celle-ci : « La religion a les yeux bleus et les cheveux jaunes, elle est saxonne en tout, » et cette autre : « La religion a les yeux noirs et les cheveux comme l’aile d’un corbeau, tout le reste est mensonge. »

Rien d’un sectaire en lui ; il n’est nullement dogmatique, et fustige volontiers l’Opinion voleuse et meurtrière, se glissant partout, dans l’église, près du trône, au foyer, tendant la ciguë à Socrate, sauvant Barabbas pour frapper le Christ libérateur, jetant