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que cette victoire pourrait être assez décisive pour dissoudre la coalition. Les Belges, pensait-il, se rangeront sous les drapeaux français, et la destruction de l’armée de Wellington entraînera la chute du cabinet tory ; des ministres partisans de la paix lui succéderont. S’il en va autrement, l’armée, victorieuse en Belgique des Prussiens et des Anglais, le sera encore dans les Vosges des Russes et des Autrichiens. Au pis aller, en admettant un échec en Belgique, on se repliera sous Paris pour opérer selon le plan défensif. L’Empereur, du reste, ne se dissimulait pas qu’après un échec à la frontière belge, les chances de succès de ce premier plan, auquel il faudrait revenir, seraient bien diminuées. On aurait perdu du monde, affaibli le moral de l’armée et du pays, provoqué les alliés à devancer de quinze jours leur entrée en France et, forcément, négligé un peu, faute de pouvoir tout faire à la fois, l’organisation de la défense.

L’Empereur médita longuement ces projets, et quand il se fut déterminé pour l’offensive, il hésita encore quelques jours sur le point où il frapperait ses premiers coups. Pour le succès de son plan, qui était de battre l’une après l’autre les deux armées occupant la Belgique, il fallait attaquer Wellington ou Blücher avant qu’ils eussent opéré leur jonction. En prenant sa ligne d’opérations sur Gand et Anvers et en se portant par Lille et Valenciennes contre la droite de Wellington, il refoulerait, après un combat d’avant-postes l’armée anglaise sur l’armée prussienne, et se trouverait, deux jours après, opposé dans une action générale aux deux armées réunies. Si, au contraire, il manœuvrait contre la gauche de Blücher par Givet et la vallée de la Meuse, il arriverait tout de même à hâter la jonction des deux armées en poussant les Prussiens sur les Anglais. Par une de ses plus belles conceptions stratégiques, l’Empereur résolut de se porter hardiment au centre même des cantonnemens ennemis, sur le point présumé de concentration des Anglo-Prussiens La route de Charleroi à Bruxelles formant la ligne de contact des deux armées, c’est sur cette route que Napoléon comptait fondre, par Beaumont et Philippeville, avec la rapidité de la foudre.


IV

Les ordres de concentration furent donnés dans les premiers jours de juin. Le 1er corps se porta de Valenciennes sur Avesnes ;