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REVUE. — CHRONIQUE.

puissante, aux affaires d’Europe ? L’attention, qui était presque entièrement concentrée sur celles-ci, s’en détourne en partie et se porte sur celles-là pour une durée plus ou moins longue, mais qu’il dépend de l’Allemagne de prolonger ; et la direction imprimée aux esprits, obligés de s’appliquer aux événemens et de les suivre, ne peut que profiter à l’Empire dont elle accroît la sécurité. Nous voilà assez loin de la rhétorique de moyen âge que Guillaume II aime à étaler dans ses harangues. Sa politique a d’autres allures. Elle ressemble à celle du prince de Bismarck : elle en a seulement grossi, sinon perfectionné, quelques procédés. Le grand chancelier s’est toujours appliqué à détourner sur d’autres points ceux dont la pensée se portait trop obstinément du côté de l’Allemagne ; il a mis un art infini à les occuper ailleurs, et parfois même les uns contre les autres. Mais il prenait généralement la précaution de se tenir en dehors des mouvemens qu’il avait provoqués, mettant tous ses soins à en surveiller et à en régler la marche jusqu’au jour où il les conduisait volontiers à bon terme, sauf à demander pour lui ce qu’il a appelé un courtage honnête. L’empereur Guillaume va plus loin ; il se jette de sa personne au milieu de la mêlée qu’il fait naître ; il y prend position tout le premier ; et il ne semble pas, d’après ses débuts, qu’il soit disposé à se contenter de tout arranger pour le bien commun, en se déclarant satisfait lui-même de son lot antérieur.

L’occupation de Kiao-Tcheou ne date pas d’un mois, et elle a produit déjà des conséquences très appréciables. La physionomie de l’Extrême-Orient en a été changée. En Occident, toutes les imaginations se sont mises en travail, et elles ont procédé fiévreusement à plusieurs partages de l’Empire chinois. On ne s’est plus occupé d’autre chose. La paix a été signée entre la Grèce et la Turquie : personne n’y a fait attention. La situation de la Crète est restée la même, c’est-à-dire très malheureuse : l’opinion publique a cessé pour le moment de s’en tourmenter. Elle est tout entière occupée dans les mers de Chine. Il se passe là, à la vérité, des choses fort intéressantes. Peut-être n’étaient-elles pas tout à fait imprévues pour les diplomates. Ils avaient remarqué les allées et venues d’agens allemands qui parcouraient depuis quelque temps avec une merveilleuse activité tous les rivages de la Chine, comme s’ils y cherchaient quelque chose. Les agens cherchaient, en effet, sur quel point il conviendrait le mieux de faire débarquer leurs marins. Kiao-Tcheou a été admirablement choisi pour cela. Plus au sud, entre Shangaï et Hong-Kong, on aurait risqué de se trouver en conflit avec l’Angleterre. Plus au sud encore, on se serait heurté aux intérêts français : il est évident que la France ne