Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éternellement déçu cause ici notre malaise et à la longue notre supplice. Il semble que tout se prépare sans cesse et que jamais rien ne s’accomplisse ; qu’on ne nous donne, que dis-je, qu’on ne nous montre rien, tonalité, mélodie, rythme, qu’on ne nous reprenne aussitôt. Dans les éblouissantes combinaisons des formes et dans leur succession ininterrompue, il est difficile d’en isoler, impossible d’en retenir une seule. Tout se dérobe et fuit ; tout dure, sans que rien commence ou finisse. Doucement inexorable, car elle ne fait presque jamais de bruit, la symphonie se transforme en une sorte d’océan harmonieux, soulevé par des houles profondes, qui s’enfle, s’abaisse, et qui, n’ayant pas de rivages, ne se brise jamais. Infinie, parce que rien ne la borne ni ne la divise, cette musique, dit-on, est la plus proche de la nature et de la vérité : elle ressemble au temps, par sa fuite. Sans doute : mais il reste à savoir si la mission ou l’idéal de la musique ne serait pas de partager le temps, pour l’alléger, plutôt que d’en reproduire, au risque de nous le faire paraître intolérable, le perpétuel écoulement.

En présence des Maîtres Chanteurs, de l’œuvre que tant de bons juges estiment légère, aimable entre toutes celles du génie wagnérien, il n’est pas un des élémens, pas une des forces de ce génie dont on ne soit tenté de maudire l’excès et la tyrannie cruelle. Comme elle dure, cette musique, et comme elle pèse ! Si longtemps quelquefois, et si lourd, que les magnificences même du dernier acte ne peuvent plus rien ou presque rien sur l’esprit et la sensibilité fatiguée. La grave et sereine introduction du premier tableau ; au second, l’admirable choral du peuple, la diffusion parmi la foule du Preislied triomphant, cette contagion d’un idéal de beauté gagnant de proche en proche, — comme dans Lohengrin, à l’arrivée du héros, se répand un idéal de vérité et de justice, — tout cela vient trop tard et j’ai vu des auditeurs incapables de joie après d’aussi longs déplaisirs. Mais du leitmotiv surtout l’impatience et presque le dégoût vous gagne. Nulle part l’ubiquité des thèmes n’est plus étonnante, plus exaspérante aussi, que dans les Maîtres Chanteurs, et nulle part, sous l’apparente variété du système, je n’en trouve plus terrible la monotonie. Oh ! le motif éternellement sautillant de l’apprenti David ! Et le motif de Pogner, accent, ou virgule sonore, qui ponctue infatigablement au premier acte les discours échangés dans le conseil de maîtrise ! Il n’est pas jusqu’à l’adorable Preislied que nous ne finissions par haïr. Pendant le troisième acte seulement, Wallher ne le chante pas moins de trois fois, et trois fois chaque fois : devant Sachs d’abord ;