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dans le temps où il écrivait les Maîtres Chanteurs, éclatait quelquefois de rire, tout seul, en songeant, disait-il, à l’énorme joie dont sa comédie était pleine. Je ne vois pourtant pas que le personnage de Beckmesser, par exemple, soit, en musique et par la musique, aussi bouffon. Il l’est beaucoup plus par l’interprétation que par le rôle et par la façon de chanter que par le chant. La sérénade même du second acte, hormis quelques vocalises scolastiques, n’a rien en soi de ridicule, rien qui sente le cuistre et le fantoche. Tout bonnement et très sincèrement charmante, elle ne nous impatiente et ne nous exaspère à la longue, que par des essais trop nombreux, par les interruptions trop multipliées de Sachs, par une lenteur fastidieuse à se décider et à « partir ». Mais quand enfin elle « part », c’est d’une allure et d’un train merveilleux. Elle a causé la bagarre, mais pour la conduire et s’en rendre maîtresse. Beckmesser peut bien être honni, battu, fouetté ; ce n’en est pas moins sa chanson qui fouette tout l’admirable finale, qui le lance et le relance, qui le fait bondir et hurler. De la polyphonie prodigieuse, elle demeure la base inébranlée. Dans le brouhaha général, elle domine, on croit n’entendre qu’elle, et le motif en quelque sorte émissaire, celui qui devrait être victime, finit par devenir le motif supérieur et par demeurer jusqu’en notre souvenir le motif triomphant.

Les Maîtres Chanteurs, plus que d’autres opéras de Wagner, trahissent encore la disproportion et la disconvenance énorme entre la symphonie et le chant. Voilà, dira-t-on, l’antique reproche, la plus vieille de tant de vieilles querelles, et qui devrait être abolie. Est-ce notre faute si parfois au fond de nous-même nous la sentons encore inapaisée : « L’orchestre, dirions-nous volontiers, avec le Dr Hanslick encore, l’orchestre filant une mélodie infinie, telle est proprement la matière musicale, homogène et subsistante en soi, des Maîtres Chanteurs. A cet accompagnement la voix s’accommode, en y insinuant des phrases à demi déclamées et chantées à demi… Dans les Maîtres Chanteurs, le chant n’est pas même quelque chose d’incomplet ; il n’est absolument rien. L’accompagnement est tout, création symphonique existant par elle-même, fantaisie orchestrale avec adjonction des voix ad libitum. Donnez à un musicien habile et familier avec la musique wagnérienne le livret et l’accompagnement orchestral des Maîtres Chanteurs, il n’aura pas plus de peine à rétablir les voix, qu’un sculpteur à rétablir la main qui manque à une statue. Personne, au contraire, ne viendrait à bout de reconstituer l’accompagnement orchestral sur la seule partie de Sachs ou d’Éva, pas plus que d’après la main seulement de la statue on ne