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REVUE DRAMATIQUE

Au THÉÂTRE-ANTOINE : Le Repas du Lion, pièce en quatre actes, de M. François de Curel. — À la RENAISSANCE : Les Mauvais Bergers, pièce en cinq actes, de M. Octave Mirbeau.

Si je ne me trompe, M. François de Curel a écrit les pièces les plus originales, les plus imprévues de ces derniers temps et, en dépit de leurs imperfections, les plus fortes dépensée : l’Envers d’une Sainte, — les Fossiles, — l’Amour brode, — l’Invitée, — la Nouvelle Idole. Dans les solitudes forestières où il a coutume de vivre, ce songeur nourrit des imaginations fières et hardies, empreintes de gravité morale et heureusement dépourvues de parisianisme. C’est un psychologue ; c’est un philosophe ; c’est un orateur ; c’est un poète — ; et je ne sais comment tout cela mis ensemble ne fait (du moins on le dit) qu’un auteur dramatique intermittent. Mais enfin il excelle à nous dérouler, sous une forme à la fois colorée et précise, des âmes singulières, orgueilleuses et scrupuleuses, des âmes aristocratiques au sens le plus large du mot.

Le Repas du Lion est donc autre chose que la vieille histoire de grève qu’on nous a tant de fois mise sous les yeux ces années-ci. Le drame tiré de la « question ouvrière », la lutte entre ouvriers et patron n’y sert que d’occasion au développement psychologique du principal personnage. Le Repas du Lion est encore, essentiellement, une histoire d’âme : l’histoire d’une âme inquiète et grande qui, ayant adopté un rôle par devoir, s’aperçoit que ce rôle est contradictoire à sa vraie nature, et qui, là-dessus, ayant conçu le devoir d’une façon plus conforme à son tempérament, est reprise de doutes, souffre du rôle abandonné, et finit dans la désespérance : bref une variation, importante et neuve, sur le thème fondamental d’Hamlet.

Voici les faits. — Jean de Sancy, quinze ans, impressionnable, ardent, généreux, passionné, n’aime que son château, sa forêt et ses