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l’approche des grands froids ; on les enleva et on construisit à leur place des huttes de bois. Chacune de ces huttes contenait deux lits de camp ; chacune avait une petite porte sur le devant, deux fenêtres des deux côtés, et une cheminée en face de la porte. La hutte du général Grant était aussi simple que les autres, à cela près qu’on l’avait partagée en deux pièces. Le général y demeurait avec sa famille. Un lit de fer, un lavabo de fer, deux tables rustiques et quelques chaises en formaient tout le mobilier. Le plancher était entièrement nu. » Lincoln, le Président de la République, durant ses séjours au camp de Grant, ne vivait pas avec moins de simplicité. Chacun était admis à lui parler, il entrait dans les huttes, se chauffait près du feu, et jouait avec les chats, ses bêtes favorites. Ne pouvant, en raison de ses fonctions, servir lui-même dans l’armée, il avait, du moins, tenu à y avoir un remplaçant. Il avait loué, dès le début de la guerre, un digne garçon qui s’était engagé en son nom ; et les éloges qu’il entendait faire de la conduite de ce « remplaçant » lui causaient une joie profonde, comme si c’eût été à lui-même qu’on les eût adressés. Quand son fils Robert voulut entrer dans l’armée de Grant, le Président exigea qu’il y fût admis en qualité de simple soldat, sans aucun traitement : et Grant eut fort à faire de l’en dissuader, Grant, général en chef de toutes les armées de l’Union, était le plus souvent vêtu comme les simples soldats : il portait une blouse, se coiffait d’un chapeau de feutre grossier ; seules deux petites épaulettes le distinguaient de ses hommes. Il se nourrissait de concombres, de fèves et de fruits ; « pas un soldat de l’armée entière ne mangeait moins, ni plus mal que lui. » Son domestique, le nègre Bill, qui s’était attaché à lui sans y être invité, le servait, en quelque sorte, par force ; encore devait-il, le plus souvent, se borner à cirer ses bottes et à brosser ses vêtemens.

Deux anecdotes achèveront de dépeindre l’heureuse simplicité de ces mœurs militaires. Certain soir de mai 1864, le capitaine Porter, revenant vers Grant après avoir commandé la destruction d’une voie ferrée, trouva le général « assis devant sa tente, fumant un cigare, et semblant très impatient d’avoir des nouvelles de l’opération. » Mais à peine avait-il commencé à lui faire son rapport, qu’une vieille dame, qui demeurait dans une maison voisine du camp, s’approcha d’eux, et, sans ombre d’embarras, engagea l’entretien avec le général en chef. « Le nombre des questions qu’elle lui fit nous prouva que la curiosité ordinaire de son sexe était développée chez elle d’une façon extraordinaire. Elle portait une robe de calicot à l’ancienne mode, trop courte de six pouces au moins. Son nez était le plus pointu que j’aie vu