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pari mutuel, on pourrait substituer un prélèvement de 10 p. 100 sans crainte d’arrêter les transactions. En 1893, les œuvres d’assistance publique ont touché près de 4 millions, soit 2 pour 100, sur les sommes versées au pari mutuel. Le pari mutuel monte ainsi chaque année à près de 200 millions ; c’est déjà un bel impôt levé sur la France, plus que l’impôt foncier ou que le budget de l’instruction publique. Encore ces 200 millions ramassés sur le turf ne sont-ils que le bilan officiel, le budget légal du jeu des jockeys ; ils ne représentent peut-être pas la moitié, peut-être pas le tiers des paris effectués sur les pur-sang. Il y a les paris sur parole entre hommes du monde, les paris par commission, les paris des agences clandestines qui fourmillent dans les grandes villes.

Ces hippodromes, renouvelés des cirques antiques, dont la poussière engloutit les minces économies des petits, si ce n’est la fortune des grands, sont une institution officielle, subventionnée par l’État et par les municipalités. Tout comme la Bourse, le turf a pris un caractère national et cosmopolite à la fois ; les sportsmen des différens pays s’y rencontrent, pour y rivaliser, ou pour y fraterniser. Le turf, aussi, est devenu un lien entre les peuples — on pourrait ajouter, ce qui dit plus, en notre temps de haines sociales, un lien entre les classes du même pays. — Le grand prix de Paris paraît bien désormais notre vraie fête nationale, celle qui, au rebours du 14 juillet, semble chaque année plus vivante et plus brillante, la seule où, devant le goût du plaisir et la fureur du jeu, s’effacent toutes les antipathies sociales et les divergences politiques. Là, toutes les classes de la nation communient dans un même sentiment, le culte de l’hippodrome. Le chef de l’État, personnification vivante de la démocratie, s’y rend, en grand apparat, comme s’il allait à une solennité civile ou militaire, et du haut de sa tribune pavoisée aux couleurs nationales, au milieu des ministres et des grands dignitaires, il préside, gravement, aux luttes de vitesse des pur-sang des écuries en renom. L’ancienne France, à son déclin, avait, elle aussi, son Longchamps avec le bruyant défilé d’équipages fastueux, de femmes parées et de toilettes éblouissantes ; mais alors le prétexte était un pèlerinage, et, jusqu’en sa perversion, ce luxe corrupteur rendait encore témoignage de la piété des ancêtres. Aujourd’hui, la pieuse fiction même a disparu ; le pesage des chevaux a pris la place du cloître des religieuses, et les hourrahs triomphans des parieurs heureux