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l’opinion est trop indulgente. Elle n’a pas assez de sévérité pour l’industriel qui, en constituant son industrie en société anonyme, majore démesurément son actif et fait miroiter, aux yeux des souscripteurs, des bénéfices imaginaires. Il y a, en effet, pour les fondateurs de sociétés, bien des manières de tondre le public, et de gagner de l’argent sur le dos d’actionnaires trop confians.

La cupidité et la mauvaise foi ont étrangement perfectionné les procédés de la fraude et de l’escroquerie. Voici, d’abord, les sociétés qui n’existent guère que sur le papier, dont l’objet est chimérique ou irréalisable avec le capital prévu ; elles ne vivent parfois que le temps de recueillir les versemens de souscripteurs ingénus. De pareilles compagnies, il en surgit en foule dans les basses officines financières, aux époques de fureur spéculative. Elles ressemblent à des bulles de savon qui se gonflent, qui brillent au soleil et s’évanouissent. C’est ce que les Anglais appellent des Bubble Companies. A certaines heures, on met toutes les rêveries et toutes les escroqueries en actions : banques exotiques dont le capital n’a jamais été versé ; procédés industriels dont les brevets sont sans valeur ; découvertes illusoires ; mines sans filons ni minerais. Un des procédés qui, en tous pays, réussissent le mieux auprès des badauds, c’est d’échafauder des sociétés les unes sur les autres comme des châteaux de cartes, jusqu’à ce qu’une bourrasque fasse tout écrouler. Chaque compagnie en enfante de nouvelles, qui en produisent d’autres à leur tour ; c’est comme une suite de générations de sociétés dont chacune, à sa naissance, donne lieu à une émission, à un syndicat, et à une prime. Au lieu de faire des affaires, on émet du papier, on crée des actions qu’on s’efforce de placer dans le public. Les filiales remplissent le portefeuille de la société-mère de titres stériles au nom retentissant. Ce fut, en France et en Allemagne, l’histoire de certaines banques célèbres. En regard des sociétés qui s’enfantent les unes les autres, il y a les compagnies qui fusionnent ensemble, qui s’amalgament, sauf à se diviser de nouveau, plus tard, car les fondateurs trouvent souvent intérêt à pratiquer, tour à tour, ces opérations en sens inverse. Ces procédés peuvent discréditer justement des entreprises en elles-mêmes sérieuses. Sectionnement des compagnies, multiplication des filiales, fusion, amalgamation, reconstitution des sociétés, augmentation ou réduction du capital, l’Europe a vu les meneurs des mines du Transvaal prodiguer à l’excès toutes ces combinaisons, si bien qu’ils ont fini par dégoûter de la grande industrie