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Quant à Gérard de Nerval, il était, en la matière, l’oracle des romantiques. « L’ombre du vieux chêne teutonique a flotté plus d’une fois sur son front avec des murmures confidentiels » : nous pouvons en croire là-dessus Théophile Gautier, qui le connut bien. Ce fut lui, — l’auteur de Lorely et de Leo Burckhardt, le traducteur de Kotzebue et des lyriques allemands, — qui nous fit aimer le Faust de Goethe (1828). « Je ne me suis jamais mieux compris, lui aurait écrit l’auteur, qu’en vous lisant[1]. »

Pour apprécier exactement la connaissance que nos romantiques eurent de l’Allemagne, il faut feuilleter les revues de ce temps. On verrait cette connaissance assez précise déjà et assez abondante dans le Publiciste, où écrivaient Pauline de Meulan, Guizot et Barante. On la verrait s’élargir singulièrement, avec Magnin, Rémusat, Fauriel, Stapfer, Dubois, dans le Globe, qui plaida avec tant de chaleur, de 1824 à 1830, non pas la cause de la germanomanie, mais celle de l’intelligence des œuvres étrangères. On la verrait enfin se compléter et s’organiser, en 1831, à la Revue des Deux Mondes, héritière des tendances libérales du Globe, qui lui-même continuait en droite ligne les Archives littérales de l’Europe. Ce n’est pas ici sans doute qu’il convient d’insister avec trop de complaisance sur l’importance du rôle joué par cette Revue dans la diffusion des littératures étrangères en France. Mais comment ne pas rappeler, — à propos de la littérature allemande, — les noms de quelques-uns de ses premiers collaborateurs : Quinet, Lerminier, Marmier, J.-J. Ampère, Philarète Chastes, Littré, Barchou de Penhoën, puis Blaze de Bury, puis Saint-René Taillandier ? Est-ce trop s’avancer de soutenir que, si l’information n’a pas toujours été également sûre chez tous ces critiques, l’ensemble de leurs travaux témoigne du moins, dès les débuts, d’un sincère désir de reprendre, sans plus l’interrompre, l’œuvre de Mme de Staël ? Nous pouvons en croire ici les historiens allemands, M. Th. Süpfle ou M. Fritz Meissner : à partir de 1831, la France a vigoureusement tenté et, au bout de quelques années, elle a réussi à bien connaître la littérature allemande.

Mais elle n’y a réussi, par l’initiative du fondateur de cette Revue, que sous la monarchie de Juillet, et à ce moment le romantisme français était constitué de toutes pièces. De 1813 à 1831,

  1. M. Betz, dans l’étude citée plus haut, a établi que c’est là une légende. Gœthe n’a jamais écrit à Gérard de Nerval : mais il l’a fort admiré, ce qui suffit.