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longueur à droite et à gauche de la figure ; elle est sur une pente de forêt, parmi des monceaux de feuilles mortes, dont on devine plutôt qu’on ne voit la multitude, qu’aucun mathématicien ne pourrait compter ; et elle émerge, seule vivante et respirante, parmi cette dépouille des bois qui, après avoir caché le ciel, est tombée et cache la terre, frémissante et dorée, quand les arbres, à l’automne, jettent leurs feuilles au sol nourricier et lui rendent ainsi un peu des sucs qu’au printemps, il leur a donnés.

Et, au rebours, quelle évocation de vie trouverait-on plus vivante qu’une certaine petite épreuve du même M. Craig-Annan, intitulée Frères blancs ? Deux moines marchent au soleil, d’un mouvement vif et précipité, vers le même but, sous l’empire des mêmes idées et l’ombre des mêmes chapeaux, leurs cagoules flottantes et ballottantes sous la même poussée d’air, leurs pieds levés, semelles dehors, selon le même rythme, hâtés vers l’église, vers l’école, ou vers le réfectoire. Pas un détail ne distrait l’attention et, des pieds à la tête, on ne sent qu’une ligne de vitesse, qu’un effet de lumière chaude et brutale, et qu’une volonté têtue.

Quelques-unes de ces œuvres ressemblent à des dessins de maîtres presque à s’y méprendre. Il existe un Effet de soir, de M. Brémard, qui rappelle fort J.-F. Millet, et où les taches noires et blanches paraissent reproduire des taches de couleurs. Il y a Sombre clarté, de M. Wilms, qui évoque Turner et le Soir ramène le silence, de M. Colard, qui est un Corot. Ceux qui ont vu les femmes drapées du peintre anglais, Albert Moore, en reconnaîtront un saisissant souvenir dans les photographies de M. René Lebègue, et ceux, plus nombreux, qui admirent, au Louvre, la finesse indécise et le fuyant charme du Portrait de jeune fille, de Flandrin, seront heureux de les retrouver dans un Profil perdu, de M. Maurice Brémard. Dans beaucoup de ces œuvres, on hésite à reconnaître la marque de la photographie. Un portrait de Jeune Hollandaise, de M. Alfred Maskell, est un prodige d’interprétation, en même temps que de vérité. Si l’on disait que c’est un fusain, personne n’affirmerait le contraire. Une vue de la Loire à Saint-Denis-Hors, de M. Henry Ballif, a l’air d’une sanguine, et un Septembre en Normandie, de M. da Cunha, d’une encre de Chine. Les qualités de finesse et d’accent qui caractérisent l’œuvre d’art en noir et blanc se voient encore dans un Brouillard, de M. Sutcliffe,