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déterminer dans chaque espèce, selon les faits et les circonstances qui peuvent varier à l’infini, en ne perdant jamais de vue le principe fondamental que nous avons posé et qui doit toujours lui servir de guide : qu’il faut, pour qu’un homme soit responsable d’un acte de sa profession, qu’il y ait eu faute dans son action, soit qu’il lui eût été possible, avec plus de vigilance sur lui-même ou sur ses actes, de s’en garantir, ou que le fait qui lui est reproché soit tel que l’ignorance, sur ce point, ne lui était pas permise dans sa profession. C’est aux tribunaux à faire cette appréciation avec discernement, avec modération, en laissant à la science toute la latitude dont elle a besoin, mais en accordant aussi à la justice et au droit commun tout ce qui leur appartient.

« Les docteurs ont invoqué l’autorité de Montesquieu, fondée sur ce passage de l’Esprit des lois : Les lois romaines voulaient que les médecins pussent être punis pour leur négligence ou leur impéritie. Dans ces cas, elles condamnaient à la déportation le médecin d’une condition un peu relevée et à la mort celui qui était d’une condition plus basse. Par nos lois, il en est autrement ; les lois de Rome n’avaient pas été faites dans les mêmes circonstances que les nôtres : à Rome, s’ingérait de la médecine qui voulait ; mais, parmi nous, les médecins sont obligés de faire des études et de prendre certains grades ; ils sont donc censés connaître leur art.

« Mais la présomption peut être détruite par les faits. Tout est dans la preuve, telle est la jurisprudence française. »

Je souhaite que notre jurisprudence reste fidèle à ces principes. Ils sont tutélaires pour la science médicale, pour le malade, pour le magistrat. Ils ont une valeur très supérieure à ceux qui prévalent actuellement dans les jurisprudences étrangères.

Puisque, dans tous les pays, l’appréciation des actes médicaux varie suivant l’opinion régnante, il appartient aux médecins de juger avec modération les fautes de leurs confrères, de mettre en relief les qualités incontestées qui distinguent notre corporation ; l’opinion les suivra, et, comme je le disais plus haut, la responsabilité médicale sera ce qu’eux-mêmes l’auront faite.

Frappé des difficultés auxquelles se heurte la responsabilité médicale, lorsqu’elle est soumise à l’appréciation des tribunaux, bien souvent le corps médical s’est demandé quels devaient être les juges des médecins, et quel tribunal pourrait être le plus