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nous intéresse davantage, car notre magistrature est imbue des principes du droit romain, et c’est lui qui constitue la base de notre code civil. A Rome, les médecins étaient régis par la loi Aquilia. Le médecin qui avait causé la mort d’un esclave devait payer une indemnité à son maître ; s’il s’agissait d’un homme libre, il encourait la peine capitale. Cependant, il ne semble pas que cette loi ait été fréquemment appliquée, et Pline s’en plaint dans les termes suivans : « Les médecins sont les seuls qui puissent impunément commettre un meurtre. » C’est dans la loi Aquilia qu’il est pour la première fois parlé de la culpa gravis, la faute lourde, qui sert de base à notre jurisprudence actuelle.

En France, il en est ainsi depuis le XVe siècle ; auparavant, il n’y avait condamnation que s’il y avait eu, de la part du médecin, dol, malice, intention de nuire. Le jurisconsulte Papon est d’avis que la faute lourde est suffisante pour que le médecin mérite une condamnation, même s’il n’y a pas eu dol : « Combien que la nécessité de mort advenue à un malade ne doive causer blâme à un médecin qui l’avait en main, si est-ce pourtant que la faute dudit médecin, soit pour être ignare ou par trop hasardeux, ne doit être excusée sous couverture de notre fragilité et de la nécessité susdite, mais il faut enquérir, et si la faute est connue, elle est digne de peine. Et à ce propos, un médecin accusé en Parlement d’avoir mal usé en donnant médecine trop forte, qui était savant, et s’excusait de ce qu’il trouvait le mal fort dangereux et consultément lui avait donné un breuvage fort et suffisant pour le jeter hors ou pour savoir bientôt s’il en mourrait ou échapperait, fut, par arrêt de Paris du 25 avril 1427, pour cette fois délaissé sans peine et admonesté de ne plus faire ainsi, à peine d’en être grièvement puni[1]. »

En 1596, le Parlement de Bordeaux condamne à 150 écus de dommages et intérêts les enfans d’un médecin qui, en pratiquant la saignée, avait pqjué l’artère brachiale. En 1602, le même Parlement décide que le chirurgien n’est pas responsable des accidens qui surviennent au malade, s’il n’y a pas de sa faute. En 1696, le Parlement de Paris, dans une ordonnance, déclare que les médecins et chirurgiens ne sont pas responsables des accidens qui surviennent au cours du traitement : quia œgrotus débet sibi imputare cur talem elegerit.

  1. Recueil notable des cours souveraines de France, liv. XXIII, titre 8.