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et se laisse dans l’antichambre du ministère ou au vestiaire du Parlement. Parce qu’il ne lui a point été possible de dépouiller sa personnalité ; parce que, malgré tout et malgré lui-même, il l’a introduite dans la politique qu’il empruntait du comte Taaffe, il a fait craquer les mailles menues de cette politique, et en quelques mois il a abouti à l’irréparable, que, pendant quatorze ans, le comte Taaffe avait réussi à différer.

« Ich bin ein Führer ; ich will das Parlament führen. — Je suis un conducteur ; je veux conduire le Parlement » : une partie du Reichsrath avait été blessée par cette phrase du comte Badeni, — d’ailleurs tronquée et dénaturée à dessein. — Le premier ministre avait voulu seulement faire entendre que c’était à lui de donner au Parlement l’impulsion et la direction, non pas au Parlement de les lui donner ; et il ne faisait qu’exprimer ainsi la pure vérité constitutionnelle, laquelle tient toute dans le fait ou dans la fiction que le chef du gouvernement est en même temps le chef de la majorité ; que, par conséquent, la Chambre le suit, et il ne la suit pas.

Dans le cas particulier du comte Badeni, fallait-il faire cette distinction qu’il n’est ni député ni membre de la Chambre des seigneurs ; qu’il est un fonctionnaire en service commandé à la présidence du Conseil ? Toujours est-il que ce qu’il y avait de bref, ce qu’il y avait — ou ce qu’on mettait — d’impératif dans ses paroles eut vite fait d’indigner des gens qui n’en cherchaient que l’occasion. Progressistes et libéraux, la gauche déclara ne pouvoir pardonner au comte Badeni un pareil blasphème contre ses doctrines. Il est vrai que, progressiste et libérale, elle est aussi et surtout allemande. Le comte Badeni le sait mieux que personne : ce qu’elle ne lui pardonne pas, au fond, c’est d’être Polonais. — Que font tous ces Polonais installés au gouvernement de l’Empire : le comte Goluchowski au ministère commun des affaires étrangères, M. de Bilinski et le Dr Rittner dans le cabinet autrichien ? Et qu’est-ce encore que ce Polonais qu’on tirait de la Galicie, sur sa réputation de raideur inflexible, pour mater le Parlement ou le briser ? — Le comte Badeni avait beau se faire tout aimable et conciliant, se prêter, plus qu’un autre, peut-être, à des Versprechungen et des Vertretungen, à des engagemens et des arrangemens, passer en des « flirts » de couloirs des semaines et des semaines, dissimuler sa personnalité : avant qu’il l’eût montrée, on la dénonçait ; à la fin il perdit patience, et il la montra. — C’est de ce jour, 8 avril,