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Tchèques, Slovènes, Croates, Serbes, Polonais, Ruthènes, Roumains, Italiens ; puis grands propriétaires, agrariens, parti du peuple, socialistes ; et les divisions religieuses elles-mêmes s’accusent : chrétiens-sociaux, antisémites, cléricaux, catholiques ; de sorte que c’est toute l’Autriche et toute sa récente histoire : les nationalités en lutte contre la centralisation ; la bourgeoisie et le prolétariat, urbain ou rural, en lutte contre la féodalité de la terre et ce qu’on nomme, à tort, « la féodalité de l’argent » ; enfin, les confessions en lutte les unes contre les autres. Toutes ces passions nationales, sociales, religieuses associent, dissocient, réassocient groupes et sous-groupes : tantôt les Allemands s’entendent entre eux, qu’ils soient progressistes, libéraux, cléricaux ou conservateurs ; tantôt, ce sont les grands propriétaires qui s’entendent, Allemands, Tchèques, Moraves ou Polonais ; et tantôt l’union se fait entre catholiques, malgré les séparations sociales et nationales, — coalitions et combinaisons d’un instant, que l’instant d’après a retournées. — Quoi de plus inconsistant, de plus mouvant, de plus fuyant ? Être condamné à gouverner avec un Parlement semblable, n’est-ce pas être condamné à construire, je ne dis pas même sur le sable, mais comme dans une eau sans fond ? Il faut du courage pour l’entreprendre et de l’endurance pour ne pas en être rebuté tout de suite.

Quand le comte Badeni, arrivé depuis dix-huit mois aux affaires, eut obtenu le vote de la réforme électorale qui traînait et constitué le nouveau Reichsrath[1], en ce Parlement ainsi formé il dut chercher une base à sa politique ; et, regardant de sa place autour de lui, voici ce qu’il trouva. — A sa droite, les Polonais : ils étaient 68 ; nobles de Pologne, ou partisans du P. Stojalowski, ou populistes, tous Polonais par-dessus tout. A ceux-là, notamment aux nobles, il avait donné assez de gages et présentait assez de garanties pour être en droit de s’appuyer, de se reposer sur eux. Si même on en devait déduire les six partisans de Stojalowski et les trois membres du parti polonais du peuple, il restait

  1. A son arrivée au pouvoir, en octobre 1895, et dans l’ancien Reichsrath, avant la réunion électorale, le comte Badeni , qui se présentait avec un programme de conciliation conservatrice, s’était appuyé d’abord sur une coalition du Club polonais (aristocratique), du Club Hohenwart (fédéraliste), du parti libéral et du parti catholique. Il promettait alors de tenir compte à la fois des réclamations nationales et de « la position traditionnelle », ainsi que de « la culture plus avancée » du peuple allemand. — C’est là qu’est le nœud de la question ; et les choses se sont brouillées quand, entre Allemands et Tchèques, il a fallu choisir.