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renseigner sur les tendances et sur les goûts de ceux qu’on appelle les étudians. Enfin il a toujours été porté par une vive inclination vers les hommes de pensée pure, et ne s’est-il pas lui-même réclamé maintes fois du nom d’idéologue ? Romancier, journaliste, ancien député, ancien prince de la jeunesse, il était dans des conditions exceptionnelles. Il a voulu en profiter pour écrire un livre que lui seul pourrait écrire, et qui ne serait rien moins que le « roman de l’énergie nationale ». Comprenons bien ce titre, ou plutôt énumérons quelques-unes des promesses qu’il contient.

On reproche souvent aux faiseurs de romans qu’ils dépensent beaucoup de talent sur des matières qui n’en valent pas la peine. Il est clair que ce n’est pas ici le cas, mais que, cette fois, pour égaler l’ampleur et la majesté du sujet, ce ne serait pas trop des dons les plus multiples et du talent le plus sûr de soi. L’auteur d’un tel roman devra d’abord être doué remarquablement pour l’observation ; il faudra qu’il soit renseigné sur la comédie politique de ces dernières années, et qu’il en possède tous les dessous. A la vaste information de l’homme politique, et à toutes les ressources de l’écrivain, il faudra qu’il joigne la puissance de généralisation du philosophe. Car il ne se contentera pas de rendre le pathétique des faits et le relief des figures, il ne se tiendra pas aux apparences et ne s’arrêtera pas aux réalités elles-mêmes. Il pénétrera plus avant, atteindra jusqu’aux causes profondes, découvrira les lois. Un homme d’imagination qui serait en même temps un observateur minutieux, un politique capable de s’élever aux spéculations de la philosophie, un philosophe qui aurait le sens des réalités, un créateur d’âmes qui serait un historien et un sociologue, à la fois un artiste et un penseur, il ne faut pas moins pour mener à bien l’œuvre considérable qu’a entreprise M. Barrès. Elle témoigne de beaucoup d’ambition. Le succès est-il en proportion de l’effort ? Nous n’en pourrons complètement juger que lorsque M. Barrès sera parvenu au bout de sa tâche : Les Déracinés ne sont que la première partie d’une trilogie. Néanmoins, comme M. Barrès ne souhaite certainement pas que le public, pour lire ce livre, attende que les deux autres aient paru, il nous sera permis d’étudier dès maintenant en lui-même l’ensemble que forment ses cinq cents pages.

Donc M. Barrès imagine de nous présenter une équipe de sept jeunes Lorrains. Élèves du lycée de Nancy, ils y reçoivent cet enseignement uniforme que l’Université donne à tous les Français, sans tenir compte de la différence des régions plus que de la diversité des conditions et des aptitudes. Le professeur de philosophie, un certain