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— On passe comme on peut, dit-il. Cet habit fait honneur à qui le porte.

Dire que des gens de cœur en arrivaient à de tels sophismes. Enfin !… Si lui aussi jugeait que son devoir était de sortir, n’importe comment ! d’aller reprendre du service au milieu des armées de la Défense… Le devoir, n’était-ce pas, dans ce chaos, ce qu’on croyait être le devoir ?… Quel doute déchirant en ce cas si, lui, Du Breuil, s’était trompé !… M. de Fontades rentrait, un paquet noué d’une ficelle rose au doigt.

— Le drapeau français, dit-il d’un air satisfait, flotte toujours sur la flèche de la cathédrale ; il se moque vraiment des Prussiens qui ragent, le nez en l’air.

Du Breuil, le thé bu, prenait congé. Malgré l’amabilité de ses hôtes, il n’avait pas pu surmonter son malaise ; le sourire de Décherac restait gêné. Après tout, il allait courir des périls, surtout avec un guide aussi compromettant que cette jolie femme ! Du Breuil ne vit plus que le gai compagnon qui souriait sous les balles. Sa poignée de main fut cordiale, ses vœux sincères, ils avaient évité de parler de la question brûlante, de cette captivité qui mettait en rumeur la gare de Metz. Un premier convoi de 500 officiers généraux, supérieurs et autres était parti l’avant-veille. Un autre avait dû partir la veille, un autre partait demain, emportant Du Breuil, avec Frisch et Cydalise.

Quelques heures fiévreuses, une nuit de cauchemars et l’embarquement pour l’Allemagne enfin arrive. Une heure avant le départ du train, Du Breuil, selon l’ordre du vainqueur, est là.

Dans la salle d’attente de la gare encombrée d’uniformes, — généraux, aides de camp, tout le haut personnel de l’armée du Rhin, — Védel l’aborde, et d’un ton tranquille répond à ses questions :

— Mais bien sûr, Pierre, que j’accompagne mes hommes ! Et je ne suis pas le seul. Le colonel Saussier, mille autres ont refusé de se reconnaître prisonniers sur parole. On nous enverra dans une casemate lointaine. Bah ! nous pourrons prendre soin de nos soldats. Toi, c’est différent, tu n’as pas le contact immédiat de l’officier de troupe. Tu ne relèves que de tes chefs et de toi-même.

Et le cœur gros encore, il racontait ses navrantes impressions, lorsqu’il avait conduit sa compagnie à l’abattoir.

Du Breuil sourit tristement :