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ment, se refusait à envoyer ses drapeaux à l’Arsenal, « comme un vieux cheval à la voirie ! » On allait les brûler dans la cour de l’hôtel, devant l’état-major et les escortes… Mais presque aussitôt, les fourgons ont repris le chemin des forts, et l’ordre donné par le général a couru dans les groupes : — « Faites, devant les régimens, sortir les drapeaux du corbillard où ils sont enfermés ! qu’on leur rende les honneurs pour la dernière fois, et ensuite, qu’ils soient brûlés !

— C’est beau, cela !… dit Du Breuil.

À la caserne du génie, ils trouvaient la cour et le bureau grouillans. Plus de trois cents officiers étaient réunis. Une fermentation extrême régnait. C’était un bourdonnement de voix continu, que traversaient des appels, des cris : — « Le temps presse ! — Où est le général Clinchant ? — Nos mitrailleuses sont à l’arsenal ! — On désarme le 4e corps ! — On porte aux magasins les derniers fusils ! »

À travers les groupes, les plus excités circulaient, se démenaient :

— « On nous a dit qu’il y avait un général ! — Où est-il ? — Qu’il se montre ! »

— Tiens, Charlys ! s’écria Judin. — Derrière le colonel parurent d’Avol, Carrouge, de Serres, Thomas, qui le retenaient.

— Non, d’Avol ! Je m’en vais, disait Charlys. — Il aperçut Du Breuil et lui fit signe : — Et vous, mon ami, est-ce que vous restez ? Il n’y a plus rien à faire ici. Je renonce.

D’Avol jeta sur eux un regard méprisant et, d’une voix dure qui s’adressait à Du Breuil, bien qu’il eût fait mine de ne pas le reconnaître :

— Soyez tranquille, mon colonel ! vous ne serez pas le seul !

— Je n’admets qu’une trouée en masse, reprit Charlys. (Une tristesse passa sur sa figure osseuse.) Je vois qu’elle est impossible, faute de chef. Toute autre tentative est séditieuse. Je n’ai pas qualité pour donner d’ordres. Je me retire.

— À votre aise ! cria d’Avol ; — Charlys était déjà loin. — Je saurai bien, moi, sortir de ce traquenard, coûte que coûte ! Car pour rester ici, ajouta-t-il, en se tournant vers Du Breuil avec des yeux de dédain et de haine, il faut avoir l’estomac solide !

— Vous dites ? fit sèchement Du Breuil, en avançant d’un pas.

— Je dis, reprit d’Avol, d’un ton cinglant, qu’admettre la ca-