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chrétiennes, et ils sont shrewd, rusés, étant Américains d’abord, rompus aux transactions du commerce ensuite.

Une petite brochure imprimée en 1891 à Canterbury et intitulée : Comment je suis devenu Shaker, me frappe par son accent de sincérité. Elle est lourdement écrite d’une main d’artisan laborieux, sans imagination et sans style. L’auteur, George Wickersham, raconte qu’il fut, dès l’âge de quatorze ans, fort impressionné par le régime communiste tel que l’exposait, dans une série de conférences faites à Philadelphie, Robert Owen. le philanthrope écossais.

Son père, ouvrier en grillages, y était assidu et l’emmenait avec lui ; le petit George entendait parler de la communauté dans l’ordre des intérêts et aussi d’une bienveillance universelle qui remplacerait les lois, les armées, les prisons, le gouvernement. Tout cela lui semblait bon. Pour la première fois, le nom bizarre de Trembleur frappa son oreille à propos d’une visite qu’Owen avait faite à Union Village dans l’Ohio. La prospérité des Shakers, la paix qui régnait parmi eux avait fortifié chez le réformateur l’espoir de réussir dans sa propre tentative de coopération. Il en exposa les plans qui séduisirent bien des imaginations, mais le fondement principal, l’idée religieuse, manquait à l’édifice. Aussi s’écroula-t-il très vite. Il en fut de même de la société dite de Valley Forge, fondée d’après les mêmes principes et où trois cents hommes peuplèrent un village modèle, les Wickersham entre autres. Ils furent les premiers à y élire domicile et les derniers à le quitter, fort dégoûtés d’ailleurs du communisme. Seul, le jeune George s’obstinait dans son rêve. Il voulait aller dans l’Indiana, à la recherche de Robert Owen.

— C’est inutile, les siens se dispersent déjà, lui répondit le père.

Il y avait aussi, à l’ouest de la Pensylvanie, la société d’Economie qui réussissait sous la conduite de Rapp, un chef intelligent. George se rappelait avoir traversé cette colonie des Séparatistes. Il eût désiré y retourner.

— Tous Allemands, objecta son père.

Et il ajouta ce qu’il put pour le décourager.

Jusqu’à l’âge de seize ans le jeune garçon se soumit à la volonté de ses parens ; il allait prendre son parti une bonne fois de devenir mécanicien « dans le monde », quand l’opposition qu’on lui faisait se ralentit tout à coup, son père l’engageant de lui-même