Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Dieu. » — Ces paroles un peu banales sont chantées sur des airs très animés et très joyeux. Un cantique où l’âme exprime la ferme confiance que Dieu ne la laissera pas seule, se détache des autres, par la supériorité de la musique et des paroles. L’eldress Harriet en rappelle plusieurs qu’elle aime comme si elle ne les avait pas composés elle-même. De fait elle ne les a pas composés, ils lui ont été dictés. Nous l’interrogeons sur les sensations qui accompagnent cette dictée prétendue et il nous semble qu’elle a de singulières analogies avec la simple inspiration littéraire. De fait, les Shakers, quoiqu’ils lisent fort peu, même la Bible, ont une littérature dont ils ne sont pas médiocrement fiers et dont j’aurai plus tard l’occasion de parler.

A neuf heures et demie toutes les lumières doivent être éteintes. Nos jeunes amies, après d’affectueuses salutations, s’envolent dans la nuit étoilée, accompagnées par les anciennes, pour rentrer dans leurs familles respectives, et nous, S. J. et moi, nous montons occuper la petite chambre à lits jumeaux qui nous a été préparée au premier étage. Elle renferme une toilette, innovation hardie, les hôtes d’autrefois étant comme les trembleurs d’alors obligés de descendre faire leurs ablutions dans la cour. Nous dormons, bercées par le chant plaintif et monotone du whip-poor-will si rarement entendu, sauf dans l’extrême solitude. Le whip-poor-will est une espèce d’engoulevent qui ne chante que la nuit, répétant à satiété les trois mots qui lui ont valu son nom. A cinq heures, un tintement de cloche nous réveille. Par concession aux faiblesses mondaines on nous accorde de déjeuner à six heures et demie seulement.

Je n’ai rien vu que les murs dans la grande meeting-house qui représente l’église, des murs lavés à la chaux, sur la blancheur desquels ressort le vert sombre des poutres et des solives. Elle est hors d’usage. Des bancs nombreux sont rangés tout autour, rappelant le temps où les étrangers s’empressaient aux assemblées du dimanche, qui depuis longtemps ont lieu dans une salle plus petite. Les vastes dimensions de celle-ci faisaient trop remarquer le petit nombre des fidèles.

— Certes, dit l’elder Henry, cette diminution est regrettable, surtout parce qu’elle nous oblige à louer des travailleurs