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tableau. Tannhäuser ayant maudit Vénus et invoqué Marie, la scène change brusquement et représente, après la grotte de la déesse, un vallon fleuri par le printemps. Le printemps, le vallon, les fleurs, le soleil matinal, toute la nature enfin chante dans la fraîche tonalité des premiers accords, dans la rustique mélodie d’un chalumeau solitaire, dans une chanson de pâtre, jeune comme le pâtre lui-même, comme la saison et comme l’heure. Tannhäuser cependant n’a pas fait un geste, et, du paysage encore inanimé, ce qui déjà nous intéresse le plus, c’est l’homme qui le contemple, c’est le mouvement, le cri que la nature semble attendre de ce témoin immobile et silencieux. Voici les pèlerins, qui vont à Rome ; ils approchent en psalmodiant. Régulièrement le refrain du berger répond à leur cantique, et chacune de ces réponses nous touche davantage, comme si chaque fois dans la voix de l’instrument pastoral frémissait un peu plus d’émotion, un peu plus d’âme et d’humanité. Les pèlerins s’éloignent. L’enfant les salue et se recommande à leurs prières. Tannhäuser alors, tombant à genoux sur l’herbe du chemin : Seigneur ! s’écrie-t-il en sanglotant. Seigneur, soyez béni ! D’un seul coup et par ce seul cri, la vie humaine, la vie morale a fait irruption dans la nature ; la grâce a rajeuni et ressuscité une âme au milieu de l’univers ressuscité lui-même et rajeuni par le printemps. Et la musique ici fait merveilleusement image. Non contente d’exprimer, elle représente. Une gamme fulgurante nous emporte de la terre à l’homme et de l’homme à Dieu. D’un seul bond nous franchissons tous les degrés de l’être. Qu’on ne s’y méprenne point : ce n’est pas seulement la foi, c’est la nature aussi qui a jeté Tannhäuser à genoux ; autant que la douceur des cantiques, la tiédeur du printemps l’a attendri et vaincu. Des calomnies d’un de Laprade, la musique et la nature même sont-elles maintenant assez vengées ? L’idéalisme de la musique est-il enfin hors de doute, si dans un paysage musical comme celui-ci, la beauté des choses s’achève et se résout pour ainsi dire eu beauté spirituelle, et si, de l’ordre physique et naturel, nous sommes transportés et comme ravis soudain jusqu’à l’ordre de la moralité pure, de la conscience et de la volonté.

L’homme donc, et l’homme intérieur, voilà tout ou presque tout l’objet de la musique. De nos dehors ou de nos apparences, elle ne s’intéresse à rien et rien ne lui est nécessaire. Pour saisir et représenter le fond de notre être, elle n’a pas besoin, comme la