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sont dans sa dépendance géographique. Pour être encore un peu vague, au point de vue de ses applications immédiates, ce sentiment n’en est que plus général et peut-être plus dangereux. Un jour ou l’autre, les vieilles puissances du vieux continent, toutes celles du moins à qui leur histoire a laissé un héritage colonial disséminé sur la surface du globe, celles qui ont beaucoup travaillé, beaucoup souffert, beaucoup risqué et finalement beaucoup fait pour la cause de la civilisation, sont appelées à se heurter à cet instinct d’accaparement et d’élimination qui devient de plus en plus âpre en Amérique, et qui ne l’est nulle part ailleurs plus qu’aux États-Unis. Il y a peut-être là, pour l’avenir, de fâcheux conflits en perspective. Le gouvernement de Washington a toujours été et il est encore trop sage pour les provoquer, ou même pour s’y exposer à la légère ; mais, comme nous l’avons dit, il n’est pas absolument libre de son action, ou de son inaction.

S’il existe, dans presque tous les pays européens, un parti, ou plus modestement un groupe colonial, remuant, exigeant, ardent, qui pousse le gouvernement aux aventures et qui l’y entraîne quelquefois, on peut bien penser que les États-Unis ne sont pas dépourvus de quelque chose d’analogue. Des hommes hardis, habiles, énergiques, pas toujours désintéressés, — et ils n’en sont que plus entreprenans, — exploitent avec adresse le sentiment national dont nous venons de parler. Ils lui donnent plus de consistance ; ils s’en font les interprètes, et, en son nom, ils parlent de très haut. Ils ne se contentent pas de parler, ils agissent : il leur arrive alors quelquefois de sortir des règles que le droit des gens a essayé d’établir. L’insurrection cubaine a dû sa prolongation anormale aux appuis qu’elle a trouvés chez eux. Il s’est passé, entre l’Amérique et l’île de Cuba, quelque chose de comparable à ce qui a eu lieu entre la Grèce et la Crète, — avec la différence que la Grèce est petite, faible et pauvre, tandis que les États-Unis sont grands, forts et opulens ; avec la difïérence aussi que la Grèce, en soutenant contre la Porte la révolte d’une de ses antiques possessions, s’exposait aux représailles qui ont fondu sur elle avec une violence cruelle, tandis que les États-Unis ont peu de chose à redouter de la part de l’Espagne. — Pour le reste, la ressemblance est frappante entre l’allilude des États-Unis à l’égard de Cuba et celle de la Grèce à l’égard de la Crète. Tous les encouragemens matériels et moraux sont venus d’Amérique ; l’insurrection cubaine. Le gouvernement y est resté étranger, nous l’accordons ; il les a même désavoués toutes les fois qu’on le lui a demandé ; il serait exagéré et peut-être injuste de l’accuser de connivence ; mais il