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tion de Cuba et des Philippines, — la première surtout, à cause des complications internationales qu’elle peut amener, — est un événement historique d’une très haute portée. Ce n’est pas, on le sait, la première fois que Cuba tente de secouer le joug métropolitain. A diverses reprises, la lutte qui s’est renouvelée et qui se poursuit dans la grande Antille l’avait déjà ensanglantée. L’Espagne y a triomphé jusqu’à ce jour des difficultés qu’elle y a rencontrées ; mais à chaque fois elle y est restée un peu affaiblie, et le parti cubain qui rêve l’autonomie absolue de l’île, ou son intime rapprochement avec les États-Unis, loin de perdre l’espérance à la suite de ses insuccès antérieurs, a poursuivi son but avec une confiance que rien n’a encore abattue. Ce parti qui se compose, comme il arrive d’ordinaire en pareil cas, d’élémens très mélangés, a trouvé un point d’appui au dehors. Le gouvernement des Étafs-Unis a gardé dans la forme une attitude réservée. Mais il n’est pas douteux qu’un parti très puissant, ou du moins très remuant, réclame en Amérique l’annexion de Cuba, et que ce parti tient le gouvernement, sinon en échec, au moins en respect. Pendant la dernière élection présidentielle, il a eu une importance qu’aucun des candidats en présence n’a méconnue, et même qu’ils ont tous un peu exagérée. Sans s’expliquer nettement sur ce qu’ils feraient s’ils arrivaient au pouvoir, M. Mac Kinley et M. Bryan ont promis de faire quelque chose à Cuba, et ils ont à qui mieux mieux taxé de faiblesse l’administration de M. Cleveland. La question cubaine a joué un rôle très important au cours de la campagne. Il serait difficile de dire à quel point cette effervescence correspondait, dans le pays, à un sentiment plus ou moins profond. Les périodes électorales sont particulièrement propres à ces feux de paille qui flambent beaucoup et dont, bientôt après, il ne reste rien. Cette fois pourtant, il devait en rester quelque chose, et cela pour plusieurs motifs.

Depuis quelques années, la doctrine de Monroe s’est peu à peu emparée de l’âme américaine. Il est probable que Monroe, quand il l’a formulée pour la première fois, un peu en tâtonnant, ne se doutait pas de l’amplification qu’elle était destinée à prendre avec ses successeurs. Un germe de cette nature, jeté dans l’imagination d’une nation jeune, ambitieuse et forte, devait s’y développer démesurément. La plupart des Américains nous regardent tous aujourd’hui comme des intrus sur l’immense continent qui commence, au nord, au détroit de Behring, pour finir, au sud, au détroit de Magellan ou au cap Horn. Ils supportent avec impatience tout établissement politique européen, soit sur le continent lui-même, soit sur les îles ciui l’avoisinent et qui