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MM. Jean Coquelin, Desjardins, Gravier, Volny, Rosemberg et Castillan.

La nouvelle pièce de M. Brieux, les Trois filles de M. Dupont, est une remarquable comédie de mœurs. Elle me paraît, et de beaucoup, la meilleure qu’il ait faite jusqu’ici, la moins didactique de forme, la plus riche d’observation et la plus émouvante.

Les grands sujets traînent : on n’a qu’à prendre. Mais il y faut, en même temps, de la foi et de la force ; assez de candeur pour ne pas craindre d’être banal, et assez de talent pour ne l’être pas. Avec une confiance qui persiste et une habileté croissante, M. Brieux poursuit, au théâtre, la revue des « questions sociales », qui est aussi la revue des travers, vices, erreurs et plaies de notre démocratie. Il nous avait montré le malheur des filles que l’instruction déclasse, la corruption des électeurs et des élus par le suffrage universel, l’hypocrisie et l’insuffisance des institutions philanthropiques, le mal que peut faire la superstition de la science. Tout cela était fort bien. Mais il a rencontré, cette fois, un sujet plus palpitant encore, s’il se peut, et d’un intérêt encore plus vital : c’est à savoir ce qu’il advient des filles pauvres dans la bourgeoisie contemporaine, où un usage abominable ne permet point aux jeunes filles de se marier sans dot.

C’est bien simple : ou elles tournent mal, ou elles ne se marient pas, ou elles se marient mal. Et, dans le fond, celles qui se marient mal ou qui ne se marient pas ne tournent pas mieux que celles qui ont mal tourné. Telles sont les vérités dont la comédie de M. Brieux est la démonstration.

M. Dupont, petit imprimeur de province dont les affaires ne vont pas fort, a trois filles : Angèle et Caroline (toutes deux d’un premier lit) et Julie. Angèle a fait jadis une faute ; chassée par son père « à cause du monde », elle mène à Paris la vie galante. Caroline, montée en graine, est devenue dévote, d’une dévotion étroite et triste. Julie, elle, n’a que vingt ans, et elle est charmante. Il s’agit de lui trouver un mari.

Précisément, M. Mairaut, petit banquier dont les affaires ne vont guère mieux que celles de M. Dupont, cherche une femme pour son fils Antonin. C’est ici que le mariage bourgeois apparaît dans toute sa beauté. Les entrevues où se négocie l’union de Julie et d’Antonin nous font voir des merveilles de plat mensonge et de basse rouerie. C’est la Poudre aux yeux de Labiche poussée à l’amer. Les deux familles se trompent à qui mieux mieux. Les Dupont promettent une dot dont ils savent bien qu’ils ne pourront payer que la moitié.