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LES FEUILLES



L’ombre qui se retire ou s’allonge, selon
L’heure du jour qui croît ou du jour qui décline,
Marque le cours du temps et la saison divine
Où l’aube est toujours claire et le soir toujours long.

Jusques en l’herbe grasse où luit nu ton talon
Et nu le double fruit que ta gorge dessine.
Aucune branche lourde à ta bouche n’incline
Son fruit de pourpre douce et son fruit d’ambre blond.

Car l’arbre haut, nourri des racines au faîte
Par la terre féconde où rôde l’eau secrète,
Pousse en stérile jet son tronc âpre et vivant ;

Mais dans le tremblement des feuilles incertaines.
Entends sourdre, courir et ruisseler au vent
Le bruit aérien des sources souterraines.


LE LIVRE



Prends le livre. Assieds-toi dans l’herbe où ton fuseau
Egalement chargé de laine blanche et noire
Enroule à son ébène et lie à son ivoire
Son double fil oisif que ne rompt nul ciseau.

L’herbe frôle en tremblant tes mains ; le ciel est beau
Et la verte prairie autour de toi se moire.
Vois, regarde passer aux marges du grimoire
Ou l’ombre d’une feuille ou l’aile d’un oiseau.

D’un vent tendre et léger aux heures de la Vie
Le Printemps tournera la page qu’il oublie ;
Voici l’Eté. Souris. Ecoute. Lis encor...

Le doux soleil tiédit le livre qu’il caresse
Pour que l’année heureuse, à l’automne, te laisse
Le fermer au signet de quelque feuille d’or.