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rangs, les titres. les attributs, les salaires des fonctionnaires.

Dissimuler l’autorité du gouvernement sous des intermédiaires indigènes, de manière à faire croire à des populations douces, mais fières, qu’elles continuent d’obéir à leurs chefs naturels, tel est, on le voit, le côté psychologique du système de colonisation tout spécial que les Hollandais ont introduit à Java, et dont on chercherait vainement l’analogue dans toutes les autres colonisations européennes.

Le côté économique de leur système colonial procède de la même idée, et n’est ni moins spécial ni moins curieux. De même qu’ils ont laissé aux indigènes leurs princes et leurs régens, de même ils ont maintenu les institutions sous lesquelles les indigènes ont vécu depuis des siècles, ils n’ont rien modifié au système terrien et agraire, ils ont perpétué la constitution de la propriété telle qu’elle est établie de temps immémorial chez les Javanais.

Sous le gouvernement despotique des sultans, il n’y avait point de propriété individuelle : le propriétaire de la terre était le prince, à qui seul appartenait le droit de commercer avec l’étranger. Les habitans d’un même village formaient une dessa, communauté qui avait un caractère tout à la fois politique et civil. Dans le système de la dessa, les habitans vivent sous le régime de la possession communale, en d’autres termes, les terres appartiennent non à des particuliers, mais à la dessa. Ce n’est pas à dire toutefois que les champs soient exploités en commun par les habitans d’un même village ; le système consiste, en pratique, dans une répartition annuelle ou périodique des terres cultivables entre tous les habitans ayant droit à une part dans le sol ; cette répartition n’est ni égale ni générale : tous les habitans n’y ont pas droit, et l’étendue des parts est réglée par la coutume et aussi par la faveur des chefs de dessa. Le cultivateur auquel est attribuée une pièce de terre peut en jouir individuellement et à l’exclusion de tout autre ; mais il n’a qu’une possession précaire, et il doit toujours s’attendre à ce que, à la prochaine répartition, sa terre tombe en d’autres mains. On devine le vice de ce système : comme les améliorations que le cultivateur peut faire à son champ doivent profiter à d’autres, il n’a point le puissant stimulant de l’intérêt personnel qui anime le possesseur individuel. En outre, la répartition se prête aux exactions et aux faveurs, car il est toujours au pouvoir des chefs de dessa d’attribuer les meilleures terres à leurs amis.