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il n’y a point de « classes dirigeantes ». Il y a des professeurs, des médecins, des avocats, il n’y a point de « professions libérales ». Un médecin est un homme qui en soigne d’autres, comme un tapissier est un homme qui les meuble. Un homme riche est un homme riche, qui peut beaucoup, comme en tous lieux, mais qui ne peut que ce que peut son argent ; et un homme instruit ne vaut que l’idée qu’il donne de son mérite. Il en résulte que chacun se sent l’unique ouvrier de son propre sort, l’artisan de ses destinées, et ne s’en prend généralement qu’à lui de son échec... Et ces observations ont le tort d’être trop générales ; et ce qu’elles peuvent avoir de vrai se modifie tous les jours ; et dans quinze jours, dans un mois je ne les reconnaîtrai plus moi-même. Mais si j’en consigne d’autres, et qui aient l’air de les contredire, je commence pourtant à croire qu’elles reviendront toutes à ceci, qu’y ayant plus de jeunesse en Amérique, la civilisation, le pays, le climat même y étant plus neufs, on respire plus largement, on se meut plus librement, on vit plus indépendamment qu’ailleurs. C’est un privilège de l’âge : l’avenir dira s’il peut se transformer en un caractère de race ; et ce que l’expérience américaine aura valu de gain ou de perte à l’ancienne humanité.


De Baltimore à Bryn Mawr, 6 avril. — Lorsque la très aimable et très énergique personne, — en Amérique, l’un n’empêche pas l’autre, — miss M. Carey Thomas, qui dirige le collège féminin de Bryn Mawr, est venue me demander d’y faire quelques conférences, mon premier mouvement, le mauvais, a été de refuser, et le second de ne pas accepter. Sans doute, j’étais un peu inquiet de savoir ce que je dirais à ces grandes filles, étant ainsi pris à l’improviste, et ayant une invincible horreur de faire deux fois la même conférence. Le temps aussi me manquait, et les livres. Mais, en causant avec miss Thomas, elle m’a dit qu’en ce moment un grand nombre de ses étudiantes se montraient extrêmement curieuses de biologie ! L’occasion m’a paru propice de faire un peu de propagande évolutionniste, et là-dessus j’ai disposé mon plan.


Si donc il y avait, dans l’histoire de la littérature française, un genre, mais un genre bien caractérisé, une « espèce franche », que l’on ne pût confondre avec aucune autre ; si ce genre, apparu dans l’histoire à un moment précis, avait accompli son évolution