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nous arracher un « pourboire », nous ne faisons vraiment de sacrifices qu’à nos idées, ou à nos intérêts. Offrez donc comme en Amérique, ou laissez seulement aux donateurs et aux testateurs que vous appelez à la gloire de soutenir vos Universités, l’espérance qu’on défendra pour eux, après leur mort, les idées qui leur ont été chères ; et je ne doute pas que, comme en Amérique, vous ne les voyiez se multiplier. Qui trouverait mauvais que l’on fondât par exemple en Sorbonne une chaire d’apologétique, dont l’existence ne serait pas inutile à l’intelligence de Pascal et de Bossuet, de Fénelon et de Bourdaloue, que dis-je ! de Voltaire même et d’Ernest Renan ; et qui croira qu’elle y fût plus déplacée qu’une chaire d’histoire de la Révolution française ?

De dire en terminant quelle est exactement la valeur de l’enseignement des Universités d’Amérique, c’est une imprudence ou une impertinence que je ne commettrai point. Il y faudrait une longue enquête. Je vois bien qu’il y a des chances pour que les Universités d’État soient en réalité des écoles professionnelles, du genre de notre Institut agronomique, ou de notre Ecole centrale, ou peut-être même de nos Écoles d’Arts et Métiers. On ne les a point créées, selon toute apparence, et les États ne les subventionnent point pour qu’on y entretienne, comme dans un sanctuaire, le culte désintéressé de la science, mais pour former des citoyens utiles.

Je me doute aussi qu’avec leurs 2 000, 3 000, 4 000 étudians, les Universités qui furent jadis de simples « collèges » retiennent toujours quelque chose de leur première origine. En Amérique, le niveau moyen de l’enseignement secondaire est sensiblement moins élevé qu’en France ; il l’est ailleurs ; et je me rappelle avoir observé que jusqu’en Suisse, dans les cantons de langue française, beaucoup de matières sont réservées à l’Université qui s’enseignent chez nous dans les lycées : mathématiques supérieures, rhétorique, philosophie. C’est ainsi, qu’à en croire du moins les programmes que j’ai sous les yeux, les deux premières années d’études à Yale, ou même à Harvard, me semblent correspondre à nos classes de « rhétorique supérieure » et de « philosophie ».

Il n’y a donc, à proprement parler, que les Universités de création récente qui soient en Amérique de vraies et pleines institutions d’enseignement supérieur. L’accès en est assez difficile, et ici, à Johns Hopkins, le candidat étudiant doit passer un examen