Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son sujet. C’est ainsi que M. R. C. Jebb, professeur de grec à l’Université de Cambridge (Angleterre), a fait en 1892 huit conférences sur la Poésie grecque classique ; et M. C. E. Norton, professeur à l’Université Harvard (Cambridge, Massachusetts) en a fait six en 1894 sur Dante. Si j’avais choisi d’en faire six ou huit sur Victor Hugo par exemple, au lieu d’en faire neuf sur la Poésie française en général, il ne dépendait que de moi. Et l’année prochaine, ou plus tard, quelque professeur d’une Université d’Allemagne en fera s’il le veut, en allemand, six ou huit sur Gœthe, ou sur le Romantisme allemand. La seule condition qui soit exigée du conférencier, et dont on dira qu’elle est bien « américaine », mais qui n’en est pas moins facile, et bonne même à remplir, est de ne pas affecter le matérialisme et de ne pas séparer l’art d’avec la morale. Le lecteur peut penser qu’en ce qui me regarde, comme adversaire de la théorie de l’art pour l’art, ou comme ennemi théorique et idéal, mais personnel et convaincu, de Baudelaire et de Verlaine, je n’ai pas eu de peine à y souscrire.

Est-ce que nous ne tirerons pas une leçon, ou une indication de là ? On essaie chez nous, depuis quelques années, de provoquer les particuliers à faire dans nos Universités de semblables fondations, et on a l’air, en vérité, de croire qu’il y suffira de l’amour de la gloire ! C’est trop compter sur la vanité française, et mal connaître la nature humaine. Un fondateur veut avoir des motifs de fonder quelque chose ; et ne me suis-je pas laissé dire que l’Université de Chicago n’existerait pas si l’on n’en avait voulu faire un centre de propagande baptiste ? Princeton est avant tout une université presbytérienne ; et ai-je besoin de dire quelle intention a présidé à des fondations comme celle de l’Université catholique de Washington ? Mais, à des fondations de ce genre, on opposerait chez nous d’insurmontables difficultés, difficultés administratives et difficultés politiques, au nom de la « liberté de conscience », laquelle consiste, ainsi qu’on le sait, à étouffer la voix de ceux qui ne pensent pas comme nous. Et, à ce propos, je me rappelle que, l’an dernier, ç’a été toute une affaire que d’autoriser l’Académie française à recevoir un legs destiné par le testateur à récompenser un ouvrage « moral », dont il avait stipulé que les conclusions devraient être « spiritualistes » ou même, si j’ai bonne mémoire, « catholiques ». Le Conseil d’État fut sur le point de s’en signer d’horreur !

Il faudrait cependant savoir que, si la vanité peut quelquefois