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Rousseau remarque avec justesse que la seconde partie des Confessions n’a pour elle qu’un seul avantage : c’est l’importance des choses et des personnes dont il y parle. Les années où Jean-Jacques a écrit l’Emile et le Contrat social, sont après tout celles où il a joué un rôle historique, où sa pensée est devenue un des fermens de la Révolution que de loin il a préparée et prédite. Sa rupture avec les philosophes, sa désertion au milieu de la campagne victorieuse que menait leur parti contre les idées chrétiennes, les pages où il accuse ses anciens amis et où il ouvre une lutte que reprendra Chateaubriand : ce sont des faits considérables, tout aussi importans que telle intrigue politique qui a beaucoup occupé les diplomates de son époque. L’histoire de son exil, quand l’Europe avait les yeux sur lui, vaut bien celle d’une de ces manœuvres militaires de la guerre de Sept ans, où des armées se sont mesurées et heurtées, sans aboutir en définitive à rien. Voltaire, Grimm, Diderot, sont des écrivains qui n’ont pas vieilli : dans les pages où Rousseau les met en scène, ils nous intéressent autrement, mais tout autant que Claude Anet, Venture ou Winzenried. Mme d’Épinay, Mme d’Houdetot, Mme de Verdelin étaient moins jolies, je veux en croire Jean-Jacques, moins agréables au regard que Mme de Warens ; mais nous avons leurs lettres, leurs mémoires ; elles écrivaient d’un style aisé, avec grâce ; elles savent plaire à ceux qui les lisent ; et c’est pour elles un avantage qui les accompagne dans les récits où Jean-Jacques nous a parlé d’elles.

Il est vrai que les mémoires de Mme d’Epinay, les lettres des amies de Rousseau et celles de Rousseau lui-même, ont été publiées d’une manière incomplète toujours, et trop souvent inexacte et confuse : tous ces documens appellent un éditeur soigneux, et l’attendront sans doute encore longtemps. Une édition critique des Confessions, déjà possible aujourd’hui pour les six premiers livres, ne pourra se faire pour les derniers qu’après qu’on aura donné de la Correspondance générale de Rousseau une édition d’une étendue triple de celles qu’on possède.

Cependant, depuis que M. Saint-Marc Girardin a écrit dans la Revue ses belles études sur la vie et les œuvres de Jean-Jacques Rousseau, quarante ans s’étant écoulés, on a eu le temps de mettre au jour beaucoup de papiers inédits. Le dossier d’un procès toujours pendant s’est ainsi renouvelé. Sans toucher à certains points qui ont été traités de main de maître et définitivement réglés, on est en mesure aujourd’hui de porter quelque lumière dans des