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« présenter une pensée sous les formes d’une histoire », il ajoutait que son intention avait été aussi de « dépeindre les types des esprits et des caractères, des croyances et de la civilisation, des efforts sociaux et des aspirations religieuses qui constituent la vie anglaise et américaine à la fin du XIXe siècle. » Mais une « peinture » n’est pas une « pensée », et d’ailleurs ce roman ne saurait prétendre à être « une peinture ». A l’exception d’une partie assez instructive, en effet, la description du couvent anglican où se réfugie le jeune homme, tout le roman n’est consacré qu’aux aventures des deux héros : les autres personnages ne sont que des comparses, à peine plus réels que M. B…, M. de T…, et les autres amans de Manon Lescaut. Tout au plus pourra-t-on prendre quelque plaisir au portrait du chanoine Wealthy, le premier chef hiérarchique de John Storm ; et encore n’est-ce qu’une caricature, manifestement imitée de Dickens. Le vrai, le seul sujet du livre n’est point là : il est à nous raconter la vie d’un « chrétien », sa vie et sa mort, puisque aussi bien John Storm reçoit, à la fin, la palme du martyre, et qu’évêques et ministres, enfans et saintes femmes, prient à son chevet, sans compter Glory en Madeleine éplorée ; et qu’un journaliste, « d’origine juive », s’écrie dans un Premier-Londres, le soir de sa mort : « Que son sang retombe sur nous et nos descendans ! »

Est-ce donc que M. Hall Caine est « d’origine juive, » lui aussi, pour comprendre de cette façon l’esprit de l’Évangile ? Ou bien n’a-t-il imaginé tout cet appareil de christianisme que pour donner plus de ressort, ou plus de poids, à l’histoire des amours d’une actrice et d’un clergyman ? Il aurait, en ce cas, admirablement réussi, car son roman a obtenu, comme je l’ai dit, un succès extraordinaire. Dès avant qu’il eût paru, on ne parlait que de lui. Seize jours ont suffi, du 9 au 25 août, pour épuiser une édition de cinquante mille exemplaires. Et aujourd’hui encore, il n’y a pas un journal qui ne s’en occupe : on « interviewe » à son sujet les prêtres de toutes confessions, les orateurs socialistes, M. Gladstone et le général Rooth ; on cite les véritables noms de l’hôpital dont John Storm a été l’aumônier, du café-concert où il a retrouvé Glory Quayle. Et les revues illustrées nous montrent M. Hall Caine debout, en costume de cavalier jacobite, sur la terrasse du château féodal de Gleba, dans l’île de Man : son château, le château où il a écrit le Chrétien, avec une plume dont on ne manque point, d’ailleurs, de nous faire connaître la marque.

Le Chrétien est incontestablement, en Angleterre, le « roman de l’année ». Et l’éminent critique M. Andrew Lang a beau inviter les lecteurs étrangers à « ne pas croire que ce soit là un genre de