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sentait dans tout ce qu’elle disait un fond de moquerie impétueuse et légère, et toujours elle semblait rire ou sourire, et cependant on voyait parfois des larmes dans ses yeux. »

Son père avait été pasteur aussi, comme son grand-père. Mais avant de partir pour le Gabon, où il était mort glorieusement au service du Christ, il s’était marié avec une femme de chambre française, la fille d’une actrice : et bien que Glory n’eût presque pas connu sa mère, c’était d’elle sans doute qu’elle avait hérité cette humeur mobile, cette sensualité, cet appétit de plaisir et de luxe dont n’avaient pu la guérir ni la simplicité de sa vie au presbytère du révérend Quayle, ni la pieuse éducation qu’elle y avait reçue. A dix ans, elle courait sur les routes, conduisant une troupe de petits garçons. A douze ans, elle avait eu son premier amour. Elle s’était éprise du jeune Storm, le fils du lord, qu’elle avait vu passer devant elle en tenue de chasse. Puis John Storm avait quitté l’île, et l’année suivante, Glory avait donné son cœur à un enfant de son âge, un fils de lord aussi, Francis Drake ; trois jours lui avaient suffi pour faire sa conquête. Mais au plus fort de sa nouvelle passion, elle avait revu John Storm, et c’était celui-ci qui, à son tour, s’était épris d’elle. De longs étés durant, il avait été son compagnon de jeux et de promenades, son professeur, son confident et son frère aîné. Déjà l’enfant se croyait sûre de l’avoir tout à elle, déjà elle se voyait en rêve installée avec lui au manoir, et reine du pays, quand un matin il était venu lui annoncer qu’il s’était brouillé avec son père, qu’il avait renoncé à sa fortune, et qu’il était sur le point de se faire pasteur. Terrible avait été sa désillusion, si terrible que le séjour de la maison familiale lui était, du même coup, devenu odieux. C’était sur sa demande que John Storm lui avait procuré un emploi d’infirmière ; et maintenant elle partait pour Londres, la tête pleine de folles images, tandis que le jeune homme, l’adorant toujours, se réjouissait à la pensée de l’avoir si près de lui, pour le soutenir dans sa lutte contre les pouvoirs de Satan.

A Londres, Glory ne tarda pas à se dégoûter de son hôpital. Elle lit connaissance d’une de ses collègues qui avait un amant ; et dès son premier jour de congé, John Storm l’aperçut, dans Saint-James’s Street, en compagnie d’un couple aux manières plus que libres. Il en fut si exaspéré qu’il écrivit le lendemain à son oncle le premier ministre : « Oh ! cette maudite ville de Londres, avec sa société pourrie, son clergé sans foi, son art, sa littérature, son luxe, son oisiveté, tout cela fondé sur le labeur du pays, et pétri de la sueur de milliers de pauvres ! Oh ! cette Circé des villes, attirant à elle le meilleur de la