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pour elle des bienfaitrices puisqu’elles l’édifient par leurs exemples et l’arrachent à sa léthargie. Et si les autorités constituées, chefs d’Etat, et bureaucrates d’Église, avaient réussi à arrêter le développement de ces petits groupes, le christianisme évangélique, en Allemagne, eût perdu ses plus précieux sanctuaires.


V

Distinguer entre l’institution et les hommes : c’est une précaution qui souvent s’impose dans les études d’histoire religieuse. L’apologétique catholique, lorsqu’on lui objecte les souillures de certains papes, allègue la vitalité de l’institution romaine ; l’apologétique évangélique, lorsqu’on lui objecte la faiblesse évidente de l’institution réformée, allègue la beauté de certaines individualités, mûries et épanouies dans l’atmosphère de la Réforme. Dans la, vaste suite de l’histoire, chaque homme n’est qu’un accident : l’apologétique catholique fait abstraction de ces accidens, pour s’attacher à ce qui dure, à ce qui est perpétuel ; l’apologétique protestante procède inversement ; et vous ressaisissez, dans cette divergence, la différence de génie des deux religions, l’une traditionnelle, l’autre individualiste. M. Harnack demande à la Réforme de produire des personnalités chrétiennes, aux Églises de mettre ces personnalités « sur le chandelier » : c’est en montrant des âmes de protestans que le protestantisme confondra ses adversaires.

Et certes, il en peut montrer de très belles, de très nobles, plus nombreuses même, au XIXe siècle, que dans les périodes antérieures. Mais beaucoup d’entre elles sont amenées, par la logique des principes de la Réforme, par la force même de leur piété individuelle, à délaisser la masse vulgaire des demi-fidèles, et à chercher, non point, comme les mystiques du catholicisme, une façon plus achevée de pratiquer la religion, mais proprement une religion spéciale, une religion de secte. L’aristocratie pieuse du catholicisme reste de plain-pied avec la foule des simples et des médiocres ; avec cette foule, elle conserve un terrain commun ; c’est le catholicisme lui-même ; et c’est sur ce terrain qu’est édifiée la tour d’ivoire des « conseils évangéliques », dont le faîte émerge au-dessus de l’Eglise, mais dont la base est dans l’Église. Au contraire, entre l’aristocratie pieuse de la Réforme et l’ensemble de l’établissement réformé, le fossé du mépris ou de