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Toujours est-il que ce quelque chose ou ce je ne sais quoi de la poésie de Verlaine, M. Hahn, en quelques mélodies, l’a supérieurement rendu.


Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’imprécis au précis se joint.


Tous deux se joignent pour composer le charme subtil de chansons telles que l’Allée sans fin ou l’Heure exquise. Et, de la pièce connue : « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches », de ce titre seul : Offrande, il n’est pas de plus délicieuse paraphrase musicale que les harmonies dont nous parlions plus haut, ces accords toujours entr’ouverts comme pour une offrande en effet, une effusion, un don de toutes choses et de soi-même, renouvelé toujours et toujours plus généreux.

Dans la plainte mélancolique et résignée qui nous arrive à travers les barreaux d’une geôle et qui s’appelle : D’une prison, je crois retrouver encore un caractère psychologique, entendre une note particulière à la poésie de Verlaine, et qu’avec sa finesse habituelle M. Lemaître toujours a su percevoir. C’est la note et comme le son du repentir, « d’un repentir catholique fait de terreur et de tendresse, sans raisonnement, sans orgueil de pensée[1]. » Lisez les pages que le pénétrant critique a consacrées à l’analyse de la religion ou plus précisément du catholicisme du poète de Sagesse, et puis écoutez les harmonies de M. Hahn : les unes et les autres se répondent ; la musique et la psychologie sont d’accord et manifestent, chacune par les moyens qui lui sont propres, le même mode de sentiment, le même état d’une âme. Comment la musique y arrive-t-elle ? Son langage sans doute est le plus mystérieux et son secret le plus caché. Elle y arrive pourtant, et quand vous entendrez, sous les vers du poète, tinter, pieux et légers comme des cloches, les accords du musicien, vous sentirez peut-être que ce chant est d’un prisonnier qui n’est point innocent, mais qui n’est pas endurci, d’un pécheur sans doute, mais d’un pénitent. Et puis — renversons pour une fois les termes de la fameuse définition — cet état d’âme est un paysage. « Par-dessus le mur de ma fenêtre, dit l’épigraphe de la mélodie, empruntée à Verlaine, je voyais — c’était en août — se balancer la cime voluptueusement frémissante de quelque haut peuplier d’un square ou d’un boulevard voisin. En même temps m’arrivaient des rumeurs lointaines, adoucies, de fête… » Ces dehors

  1. Voir l’article sur Paul Verlaine, dans le t. IV des Contemporain.