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qui fait l’intérêt de ces lettres, c’est qu’elles dénotent chez leur auteur une large curiosité pour toute sorte de questions dont à l’ordinaire s’inquiètent peu ceux qui font profession d’être de purs artistes. Panizzi servit d’intermédiaire entre la France et l’Angleterre pour certaines négociations de diplomatie ; Mérimée est sénateur, intime aux Tuileries, ce sont les choses de la politique qui emplissent leur correspondance. Le point de vue de Mérimée est déterminé par sa situation, à la fois propice et défavorable, qui lui découvre une partie des affaires et lui en dérobe une autre partie. La fermentation des esprits, le mouvement anonyme des idées, Mérimée ne l’a pas compris ; il s’est trompé maintes fois et souvent ses prévisions n’ont pas été réalisées ; mais qui prévoit toujours à coup sûr ? Les erreurs mêmes qu’il commet ont leur intérêt, parce qu’elles nous renseignent sur un certain état d’esprit et portent témoignage pour toute une catégorie de personnes. C’est la politique tout entière du second Empire qui se découvre à nous telle que pouvaient l’envisager les serviteurs éclairés du régime et les amis désintéressés des souverains. Ce sont les incidens de la vie européenne appréciés, à mesure qu’ils se produisent ; ce sont les acteurs du drame international, Pie IX et Victor-Emmanuel, Mazzini et Garibaldi, Cavour, lord Palmerston, Thiers, M. de Bismarck, caractérisés en traits qui ne sont pas toujours justes, qui sont toujours nets et frappans. Mérimée était très apprécié de l’empereur, qui voyait surtout en lui l’homme d’esprit et l’érudit aimable, il était fort avant dans la confiance de l’impératrice. Il fut à même de donner des conseils parfois hardis, de surprendre des secrets douloureux. La correspondance s’ouvre au temps du départ de l’armée d’Italie, dans l’enthousiasme populaire, sous la pluie des fleurs. Elle se ferme sur les désastres de la guerre de Prusse. C’est une histoire du second Empire, écrite au jour le jour, par un esprit libre et réfléchi, attentif aux problèmes du gouvernement, de la diplomatie et des guerres.

Voilà le côté sérieux de l’époque ; en veut-on voir l’aspect frivole ? On a beaucoup déclamé contre la société du second Empire. Il reste qu’elle eut à un degré éminent le goût du plaisir. Faute d’avoir pu reconstituer l’ancienne société et lui emprunter sa conception aristocratique de la vie, on lui avait pris du moins sa légèreté, son insouciance, une sorte de folie, une rage de s’amuser. L’impératrice avait eu la fantaisie mondaine et archéologique d’organiser une cour d’amour : Mérimée en était le secrétaire ; c’est à ce titre qu’il écrit à sa « Présidente ». Il lui écrit en style de cour d’amour, dans une prose tout émaillée de madrigaux. Il l’entretient des divertissemens passés ou des