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fortifications, combat encore, marche, et arrivée à deux heures du matin sur les positions grecques abandonnées. On a calculé que, de quatre heures du matin à trois heures de l’après-midi du jour suivant, la brigade avait avancé et combattu. Il est vrai qu’elle était menée par Hassan-Pacha, qui est un étonnant entraîneur d’hommes ; mais il est certain que, de leur côté, ceux-ci aimaient à se battre, et n’hésitaient pas à le suivre. J’ai vu à l’hôpital de Larissa un enfant de douze ans, et un vieillard de soixante-quinze, blessés tous deux. Cela suffira peut-être à faire comprendre l’amour vif et passionné de cette race pour la guerre. On explique cette ardeur par le fanatisme musulman. Il faut s’entendre : le musulman turc montre dans la vie quotidienne une singulière tolérance. A Constantinople, jusque dans ces dernières années, les Mahométans assistaient aux processions chrétiennes comme à un spectacle, et même leur prêtaient le concours de leurs fanfares, d’ailleurs effroyables. Dans ces occasions, la police laissait les Grecs tirer des coups de fusil dans la rue, ce qui est sévèrement défendu aux Turcs. Les épouvantables massacres qui ont eu lieu récemment tiennent beaucoup moins à une explosion de fanatisme qu’à des causes politiques. Mais, d’autre part, la religion joue un grand rôle dans la vie du soldat turc. C’est son iman qui en quelque sorte lui donne sa feuille de route ; c’est parce qu’il n’assisterait pas à la prière qu’il est puni de manquer aux appels ; c’est parce qu’il aura le paradis qu’il est content de mourir, le fusil ou le sabre à la main ; et s’il s’abstient de l’eau-de-vie et du vin, de quoi profite la discipline, c’est que sa religion l’ordonne. Il tire du Coran une morale de résignation à la fatigue et à la misère. Ne craignant pas la mort, il ne pleure pas longtemps les siens, et si quelqu’un de ses amis est dans le deuil, il lui dira seulement : « Que Dieu te préserve de malheurs plus grands ! » L’autre comprend, et se tait…

Si l’on va au-delà des lieux communs sur l’Islam, on voit que les qualités de résistance et d’endurance du soldat viennent à la fois de son origine et de son éducation. — De son origine : c’est un paysan à demi nomade. Comme paysan, il a mené dès l’enfance la vie la plus dure et la plus saine ; comme nomade, il a l’habitude de ne pas manger à heure fixe, de ne pas compter sur la ration, — immense avantage ! — et la marche, les nuits à la belle étoile, le bivouac, sont pour lui choses de tous les jours. De plus, dès son enfance, il a porté une arme. Aussi un homme recruté peut-il